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Pour la sortie en VOD de Portrait de la jeune fille en feu, prix du scénario au festival de Cannes 2019, UniversCiné vous propose de parcourir la filmographie de Céline Sciamma. Réalisatrice de quatre longs-métrages, la cinéaste s'est imposée comme une figure majeure du cinéma français avec des portraits de femmes captivants. De la banlieue en maillot de bain une pièce au XVIIIe siècle en costume, la justesse remarquable des scénarios de Céline Sciamma est au service d'un contre-pied permanent contre les clichés et de personnages libres et spontanés. Autant de qualités qu'on peut jusqu'ici appliquer à la carrière de celle qui écrit également pour les autres, notamment le superbe film d'animation Ma vie de Courgette.

1. Naissance des pieuvres, 2007

On se demande bien où l'on se trouve dans le premier film de Céline Sciamma. Au beau milieu d'un lotissement américain propret et anonyme ou dans une petite ville française ? Dans les souvenirs 90’s de la réalisatrice ou dans le futur de grands ensembles à l'architecture bigarrée ? Rien de tout ça. C'est bien à Cergy-Pontoise, en 2007, que la jeune Céline Sciamma plante sa caméra, dans cet espace indéterminé, propice à tous les envahissements fictionnels, au milieu duquel trône une gigantesque piscine, foyer des intrigues amoureuses et des fantasmes de trois adolescentes, le temps d'un été, dont ceux de la timide Marie pour Floriane, la star de l'équipe de natation synchronisée.

La réalisation était loin d'être une évidence pour Céline Sciamma, qui privilégie l'écriture en choisissant la section scénario de la fémis. Naissance des pieuvres est le scénario qu'elle présente pour valider la fin de son cursus. Parmi les jurés chargés de l'étudier, Xavier Beauvois y voit une promesse que Sciamma doit absolument concrétiser. Sans passer par l'anti-chambre habituelle du format court, elle se lance alors dans la réalisation de son premier long-métrage.

Marivaudage adolescent au cœur de l'été, Naissance des pieuvres investit à fond le genre du teen movie. De l'aveu même de la réalisatrice, les personnages pourraient sortir d'American Pie. Ce qui fait la singularité de ce premier film, c'est un regard d'une grande acuité et une sensualité envoûtante. Sorte de Larry Clark soft, Céline Sciamma capte le désir – de Marie, Anne et Floriane – par des frémissements, des regards et des stratagèmes à la fois naïfs et absolus. Comme le réalisateur de Kids, la cinéaste fait le choix radical de supprimer les parents à l'écran. Refusant ainsi tout déterminisme, toute logique de confrontation et d'affirmation (qui est souvent l'enjeu principal des films traitant d'homosexualité), elle déploie au contraire un espace de liberté qui colle à ce moment de l'adolescence synonyme d'affranchissement, de découvertes, de « premières solitudes » (selon le très beau titre du dernier documentaire de Claire Simon). Certes le désir comprime et la cruauté propre à cet âge, montrée tantôt avec humour, tantôt avec dureté, est omniprésente, mais l'adolescence est ici une bulle source d'émancipation, investie avec une grande intelligence.

Céline Sciamma aurait eu tort de laisser son scénario à un(e) autre. Naissance des pieuvres, c'est aussi la naissance d'une réalisatrice de cinéma à part entière, en témoigne la façon de mettre les corps en scène et de les filmer. Accomplis, à peine formés, graciles ou ingrats, la caméra ne cesse de les scuter, comme à travers cette scène d'entraînement dans laquelle on prend conscience de la violence de la natation synchronisée : littéralement coupé en deux, le corps féminin doit composer avec la grâce obligée en surface et des mouvements extrêmement durs dans l'eau. La dualité de ces corps épiés et contrits, qui ne réclament que l'abandon, parcourt une œuvre qui n'est pas un film « de femme » mais celui « d'une femme » qui développe une vision affirmée et stylisée de la féminité.

Naissance des pieuvres, c'est également la naissance d'une actrice, Adèle Haenel, qui émerge aux yeux du spectateurs dans le rôle de Floriane, centre inconséquent de tous les désirs. Découverte dans le désormais très polémique Les Diables de Christophe Ruggia, la jeune actrice affirme une gouaille, un corps et un talent en puissance largement confirmé depuis.

 

2Tomboy, 2010

Nouvel été et nouveau moment suspendu dans la filmographie de Céline Sciamma. Laure, dix ans, emménage avec ses parents et sa petite sœur dans un nouveau quartier. À la question « comment tu t'appelles ?» que lui pose Lisa, sa voisine, Laure répond, sur un coup de tête, « Mickaël ». C'est décidé, pour le reste des grandes vacances, Laure sera un garçon aux yeux de sa nouvelle amie et du reste de la bande du quartier, ses cheveux courts et son corps d'enfant aidant à entretenir le mystère.

Refusant une nouvelle fois la psychologie, Céline Sciamma joue la carte de la simplicité pour développer sa vision du genre et de la sexualité, en prenant la question par son versant le plus ensoleillé : celui de la liberté et de l'évidence. Sa caméra se place à la hauteur de Laure/Mickaël et de sa bande d'amis, scrutant les corps, les gestes et la place de chacun, fille et garçon, dans le groupe. Par de multiples détails dans l'attitude et les dialogues des enfants, Tomboy montre comment les genres sont distribués, ce à quoi ils obligent et la manière dont ils peuvent être renversés. À partir de là, ce dont s'amuse Sciamma, c'est d'une brèche dans laquelle s'engouffre Laure pour devenir Mickaël, d'une suspension, symbolisée par l'été, dans laquelle tout recommencer selon ses désirs devient possible. C'est un espace forcément fébrile et menacé. L'innocence de la bande et de leurs jeux en forêt n'acquiert que plus de poids face aux retours dans l'appartement familial, où Mickaël redevient Laure, et à la perspective d'une rentrée des classes qui implique de rentrer dans le rang.

Si les adultes, en l'occurrence les parents de Laure, sont cette fois-ci présents à l'écran, Sciamma ne les utilise jamais comme des figures antagonistes qui commanderait une affirmation par trop évidente. Toujours du côté de la liberté, la cinéaste met en scène une famille unie et aimante, ce qui ne donne que plus de force et de naturel au choix de Laure de devenir Mickaël. Une évidence que reprendra dans son schéma un film comme Girl, la caméra d'or de Lukas Dhont, dans lequel un garçon voulant devenir une fille est soutenu et accompagné dans sa démarche par sa famille.

Avec Tomboy, Céline Sciamma livre un film apaisé et sûr de sa force. Sa démarche, certes militante, se situe loin des débats violents et passionnés entourant la question du mariage homosexuel qui agiteront la France en 2013, et dans lesquels le film sera d'ailleurs pris. Non pas que la violence et la discrimination soit niées, mais le cinéma de Sciamma se concentre avant tout sur le désir, le geste, l'élan de personnages énergiques. La réalisatrice aime d'ailleurs à rappeler que ses films sont des films « d'action », qui forment ensemble une filmographie spontanée, fine et fougueuse.

 

3. Bande de Filles2014

Le troisième long-métrage de Céline Sciamma nous plonge au cœur de Bobigny. Un vrai film de banlieue, à la mise en scène très stylisée où la lumière et la bande son ont un rôle à part entière. Le légendaire film en noir et blanc de Mathieu Kassovitz, La Haine interrogeait déjà la vie en cité et nous disait “jusqu’ici tout va bien”. Pour Céline Sciamma, la banlieue est comme elle dit “son terrain de prédilection”. C’est parce qu’elle  vient de la cité et parce qu’elle la connaît par cœur que Céline Sciamma maîtrise aussi bien cet espace, vaste terrain de jeu esthétique : la verticalité des grands bâtiments et l’horizontalité des parcs de bétons constituent des lignes de fuite où les personnages sont aussi libres de s’exprimer. Filmer la banlieue ne veut pas forcément dire que l’on représente une seule et même réalité : la banlieue n’est pas qu’un lieu de contrainte, Sciamma préfère s'intéresser à la liberté, aussi mince soit-elle, à disposition de ses personnages. Elle ne délivre pas un discours ultra-politisé de la vie en cité, elle s’en sert plutôt comme d’un décor scénaristique propices à filmer des adolescentes. 

Bande de filles est construit en cinq actes comme une pièce de théâtre classique (ponctué par des cartons noirs) où l’on suit Marieme (alias Vic) en quête d’identité. 16 ans, d’une beauté ravageuse, elle a tout pour plaire et réussir. Mais elle est en échec scolaire car elle doit s’occuper de ses petites sœurs une fois rentrée chez elle et subir la violence de son grand-frère. C’est avec la rencontre de trois jeunes filles à peine plus âgées qu’elle que Marieme va devenir Vic. Au fil du récit, Marieme trouve sa place dans la bande et dans le champ, comme le souligne la scène dans laquelle les adolescentes chantent Diamonds de Rihanna. À partir de ce moment clé, Vic devient explosive et cherche à fuir par tous les moyens la domination masculine qu’elle vit au quotidien. 

Céline Sciamma filme le combat de ces jeunes filles, à peine sorties de l’enfance, prêtes à tout pour se faire respecter. La banlieue devient un royaume que les jeunes adolescentes veulent posséder par tous les moyens comme symbole d’affirmation. Mais si l’impertinent et charismatique trio a su éveiller en elle une féminité jusqu’ici évacuée, les lois implacables qui lui sont associées demeurent. Finalement, les rêves d’émancipation de Marieme s’effondrent lorsque tout le monde apprend qu’elle a couché avec son petit ami. Elle s’enfuit en laissant tout derrière elle, pour une autre cité, une autre identité… Céline Sciamma témoigne d’une nouvelle génération féminine en pleine crise identitaire et en lutte contre un  destin trop fort pour être changé.

 

4. Portrait de la jeune fille en feu2019

Après avoir traversé la mer, Marianne (Noémie Merlant) rencontre Héloïse (Adèle Haenel) dont elle doit peindre en secret le portrait de mariage en prétendant être sa dame de compagnie. Portrait de la jeune fille en feu, dernier film de Céline Sciamma, dépeint un chamboulement amoureux. Comme le dit la cinéaste en parlant de ses œuvres : “il y a en tout cas toujours le désir d’un personnage souvent isolé, et qui cherche à entrer dans un groupe” : Portrait de la jeune fille en feu ne déroge pas à la règle. À travers trois portraits de femmes isolées, Marianne la peintre, Héloïse la jeune promise et Sophie la servante, la cinéaste construit la naissance d’une sororité intense.

Toute la finesse de l’œuvre repose d’abord sur un dépouillement absolu de l’écriture : le scénario, composé de dialogue sans fioritures, suit une ligne claire. Les choix esthétiques de la cinéaste suivent la même logique : nous surprenons le regard d’une femme sur une autre. Portrait de la jeune fille en feu est une œuvre féministe imaginée par une artiste femme qui assume son regard féminin. Elle se libère du superflu cinématographique pour proposer une œuvre extrêmement épurée (absence de musique, scènes minimalistes...). La mise en scène et la photographie évoquent une douceur picturale participent à l’intensité des rapports amoureux. L'homme n'apparaît (presque) jamais physiquement à l’écran. Pas même fantasmé, jamais il n’en est fait mention, sinon comme d’une échéance à venir (celle du mariage forcé entre Héloïse et un riche milanais qu’elle n’a jamais vu) ou d’une conséquence bien réelle. Absents, les hommes pèsent pourtant sur la totalité du récit, en représentant les éléments perturbateurs de chacun des destins de ces femmes - l’homme qu’ Héloïse se voit obliger d’épouser, l’homme qui à mis Sophie enceinte, tous les hommes que Marianne a interdiction de peindre et, au-delà, tous ceux qui lui interdisent la “grande peinture”. 

Si le film se passe au 18ème siècle, il n'en demeure pas moins au cœur d’une actualité brûlante et conte finalement une histoire presque intemporelle. Le costume n’est qu’un prétexte et Céline Sciamma continue de poser son regard sur l’urgence de notre époque. Plusieurs grands combats féministes sont traités dans l’œuvre, comme l’avortement, le mariage arrangé, la sexualité et les luttes sociales. L’intelligence de Céline Sciamma est de construire un récit fort et politisé tout en faisant de sublimes parallèles avec l’histoire de l’art dans un jeu d’échos habile entre le cinéma et la peinture. Il y a une vraie réflexion sur l’oeuvre picturale et, plus généralement, sur les considérations contemporaines qui sont celles de l’histoire de l’art alors que de nombreuses figures de femmes peintres refont surface grâce aux travaux d’universitaires et de conservateurs (on pense notamment à Elisabeth Vigée le Brun ou à Angelica Kauffmann que Sciamma cite comme références). 

Le pouvoir du regard constitue le fil rouge de la narration dans laquelle il est d’abord volé, scrutateur avant d’être licite puis intime. La peinture n’est pas seulement une toile remplie de couleurs : pour être vraie, la peinture a besoin de “prendre vie”, comme le laisse entendre la séquence introductive du film. Marianne doit capter l’âme d’Héloïse pour la projeter ensuite sur sa toile. Elle fait ainsi vivre les souvenirs ancrés dans sa mémoire, ceux des discussions qu’elle a eues avec elle et des moments de vie qu’elles ont partagé ensemble. Portrait de la jeune fille en feu met en tension la question du voyeurisme : regarder et être regardé à son insu pour mieux capter l’essence-même de la personne. Le regard est l’un des moyens par lesquels nous nous révélons à l’autre et Céline Sciamma l’utilise pour faire naître une histoire d’amour interdite. Là est tout le paradoxe de l’œuvre : le regard libère autant qu’il emprisonne. Marianne emprisonne Héloïse par son regard en peignant son portrait mais la libère aussi grâce au regard amoureux qu’elle pose sur elle.

 

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