D’Incroyable mais vrai aux Cinq Diables, du vertigineux épisode 8 de Watchmen aux paradoxes temporels de Game of Thrones, les voyages dans le temps envahissent le petit comme le grand écran. Les plus beaux voyages dans le temps sont ceux qui font muter la forme cinématographique, où la linéarité temporelle classique est bousculée au profit d’une expérience inédite du temps. De films quasi-expérimentaux au fleuron des blockbusters hollywoodiens, le voyage temporel a inspiré tout le spectre du cinéma. C’est qu’il offre des expériences de pensée à la fois ludiques et retorses pour penser l’existence humaine dans son rapport à la science, à l’histoire, à la mémoire et à la responsabilité. La sortie d’Incroyable mais vrai sur UniversCiné nous donne l’occasion de revenir sur nos 15 voyages dans le temps préférés.
15. Retour vers le futur (Robert Zemeckis, 1985)
Commençons par l’évidence absolue avec ce classique de la pop culture. Après sa projection au milieu des années 1950, le jeune Marty McFly fait la rencontre de ses parents. Mais son irruption dans le passé menaçant l’histoire amoureuse de ses géniteurs, il doit alors tout faire pour sauver ce couple et sauvegarder sa propre existence. Ce saut temporel est l’occasion de confronter les deux générations et de construire un œdipe surprenant, même si celui-ci devient rapidement une comédie romantique plus traditionnelle. Si le film a tant marqué, il le doit à ses deux protagonistes hauts en couleur et à son invention d’une mythologie inédite, à partir d’une vieille DeLorean.
14. Incroyable mais vrai (Quentin Dupieux, 2022)
L’inventivité de Quentin Dupieux n’est plus à prouver. Après le pneu tueur de Rubber, la fétichisation d’un manteau dans Le Daim, et la mouche géante de Mandibules, le cinéaste français s’empare du paradoxe temporel pour bouleverser le couple formé par Alain Chabat et Léa Drucker. S’il conduit à une piste narrative plus convenue, le film est brillant dans sa manière de faire advenir l’extraordinaire dans l’ordinaire. Par la maîtrise de l’effet d’annonce, de l’absurde et de la durée des dialogues, cette percée du fantastique donne une forme inédite à la comédie sur un couple en crise.
13. Looper (Rian Johnson, 2012)
Le motif du voyage dans le temps a donné lieu aux blockbusters les plus inventifs des dernières années. S’il en reste parfois à un principe narratif alambiqué et inutilement complexe, il peut aussi donner lieu à des scènes d’actions retorses et spectaculaires. Dans un futur proche, la mafia envoie les témoins nuisibles dans le passé afin de les faire exécuter par des “loopers”. Joseph Gordon-Levitt et Bruce Willis incarnent tous deux un looper à 20 ans d’intervalle. Un jour, l’un est envoyé dans le passé pour être exécuté par l’autre. Une course poursuite infernale démarre alors, où chacun est à la fois victime et coupable, déjouant le moralisme conventionnel du cinéma hollywoodien. En empilant les strates temporelles, ce néo-film noir propose un palimpseste visuel virtuose et passionnant.
12. Edge of Tomorrow (Doug Liman, 2014)
Tom Cruise est envoyé sur un champ de bataille pour combattre une bande d’aliens particulièrement agressifs. Mais au bout de 10 minutes, le héros est sauvagement tué. Se met alors en place une boucle temporelle, où Tom Cruise ne cesse de se faire trucider pour être ranimé un peu avant la bataille. L’inventivité de ce Tom Cruise movie - genre en soi du cinéma américain - tient à son croisement du cinéma et du jeu vidéo. Il reprend la même logique que le “die and retry”, ce genre de jeu qui propose une difficulté particulièrement élevée, et où la progression du joueur n’est permise qu’après un nombre incalculable de game over. Ces échecs répétitifs permettent à Tom Cruise d’anticiper chaque difficulté et d’avancer toujours un peu plus loin. Si le film est spectaculaire dans son montage elliptique, il est également une mise en abyme de la carrière de Tom Cruise, un acteur sans âge, propulsé à toute vitesse dans des projets qui doivent l’emmener toujours plus loin.
11. Minuit à Paris (Woody Allen, 2011)
Un écrivain américain en voyage à Paris se retrouve projeté dans les années 1920, où il fait la rencontre de Fitzgerald, Hemingway, Picasso, Buñuel, etc. En apparence, le voyage dans le temps semble accomplir un fantasme un peu désuet et conservateur. Mais Allen joue avec cette posture nostalgique du “c’était mieux avant”, pour interroger la création artistique et la possibilité de créer au présent, à la suite des génies passés. Un film à la fois léger et intelligent, qui renoue avec la veine la plus fantasque du réalisateur de la Rose pourpre du Caire.
10. Terminator 2 : le jugement dernier (James Cameron, 1991)
Ce deuxième volet met en scène une bataille entre deux robots venus du futur mais issus de deux générations différentes. Tout comme Jurassic Park, Terminator 2 est un blockbuster réflexif qui saisit les bouleversements technologiques du cinéma au début des années 1990. S’il poursuit le spectaculaire du premier opus, le voyage dans le temps prend une autre dimension en offrant une réflexion méta-cinématographique passionnante sur l’évolution des effets spéciaux et l’obsolescence qui l’accompagne. La bataille entre le T-800 et le T-1000 est un combat entre deux générations d'effets spéciaux, un animatronique dépassé contre un redoutable être numérique.
9. La Clepsydre (Wojciech Has, 1972)
La Clepsydre fait partie de ces films qui mêlent les temporalités dans un voyage onirique halluciné. Un homme rend visite à son père dans un étrange sanatorium, puis il se perd et traverse différents épisodes de son passé. Dans ce croisement du Miroir (Tarkovski), d’Amarcord (Fellini) et de La Montagne Sacrée (Jodorowsky), le voyage temporel ne prend pas la forme d’un itinéraire simple et linéaire, il se présente davantage comme un voyage intérieur tortueux, dont la logique spatiale et temporelle reste assez insaisissable.
8 et 7. Lost Highway (1995) et Twin Peaks (David Lynch, 1991)
Dans l’univers trouble de David Lynch, le Mal tord et troue la temporalité. La mythique Black Lodge apparaît comme un carrefour des temporalités, où les personnages de Twin Peaks se rencontrent en dépit de toute logique rationnelle. Enfermés dans des boucles, ou perdus dans les strates temporelles, les personnages de Twin Peaks, de Lost Highway ou d’Inland Empire nous confrontent à des paradoxes temporels vertigineux difficiles à démêler. Le mystère de l'œuvre de Lynch ne réside donc pas uniquement dans la porosité entre le rêve et la réalité, mais il repose aussi sur ces distorsions du temps qui envoûtent le spectateur.
6. L’Arche russe (Alexandre Sokourov, 2002)
Un voyage dans le temps qui est à nouveau l’occasion d’expérimenter les possibles du cinéma. Le vertige du film repose sur la tension entre le temps limité de l’unique plan séquence qui compose le film - soit un plan de 96 minutes - et l’échelle temporelle qu’il recouvre - les trois derniers siècles de l’histoire russe. Une expérience absolument inédite pour le spectateur, où l’écoulement du temps varie au gré des portes franchies dans le musée de l’Ermitage. De la confrontation entre la fascination produite par ces reproductions du passé et la contemporanéité du narrateur invisible du XXI siècle naît une élégie impressionnante.
5 et 4. Peggy Sue s’est mariée (Francis Ford Coppola, 1986) et Camille Redouble (Noémie Lvovsky, 2012)
Dans ces deux films, une femme de quarante ans dont le couple bat de l’aile se trouve projetée dans son adolescence. Une même actrice y incarne le personnage aux différents âges (Kathleen Turner chez Coppola et Noémie Lvovsky dans son propre film). Cet écart figuratif crée de manière très simple un décalage bouleversant, qui réenchante le regard porté sur le quotidien des adolescents. Contrairement à Retour vers le futur, les personnages explorent leur propre passé (les années 1960 dans le film de Coppola, les années 1980 dans le film de Lvovsky). Ce déplacement donne une dimension nostalgique au voyage temporel et ouvre de nouvelles perspectives, en interrogeant la notion de destin et les conséquences de leurs choix passés. Les deux films méritent d’être confrontés l’un à l’autre, car s’ils partagent des interrogations, leurs conclusions divergent.
3. Je t’aime, je t’aime (Alain Resnais, 1968)
Les plus beaux voyages dans le temps sont sans doute ceux qui font muter la forme cinématographique. Lorsque l’un des plus grands monteurs de l’histoire du cinéma s’empare de ce motif, cela donne forcément un film radical qui explore les possibles du montage. Dans Je t’aime, je t’aime, Claude Ridder se prête à une expérience scientifique après sa tentative de suicide raté. Il est renvoyé dans son passé pour en revivre une minute. Mais l’expérience échoue, et Ridder se trouve perdu dans les méandres temporels de sa propre vie. Le film nous foudroie alors d’un montage éclaté, qui fait fi des relations de causes à conséquences, pour dresser le portrait psychanalytique de son héros. Aux côtés de Mon oncle d’Amérique et de Muriel, Je t’aime, je t’aime présente l’acmée du geste expérimental d’Alain Resnais, qui sous-tend toujours une certaine vision de l’histoire et de la mémoire.
2. Un jour sans fin (Harold Ramis, 1992)
La fête de la marmotte, le réveil sur I Got you Babe, la mine déconfite de Bill Murray… ces images d’Un jour sans fin se sont inscrites dans l’imaginaire collectif. Et pour cause, le film d’Harold Ramis est l’un des sommets du cinéma populaire américain. Cette comédie repose sur une boucle temporelle, où un journaliste grincheux est condamné à revivre inlassablement la même journée. Si ce film est si précieux, c’est qu’il se situe au croisement d’un cinéma grand public familial et d’une réflexion passionnante sur la condition humaine. Réactualisation du mythe de Sisyphe, le film déploie un humour tragique unique, qui culmine dans une scène de suicide raté, et se double d’un conte moral sur la suspension de la responsabilité individuelle. Le cauchemar vécu par Bill Murray prend même une nouvelle actualité depuis les temps de confinement. Un chef-d'œuvre indépassable de la comédie U.S. qui a consacré Bill Murray comme l’éternel grincheux du cinéma américain.
1. La Jetée (Chris Marker, 1962)
“Ceci est l’histoire d’un homme marqué par une image d’enfance.” À la suite de la Troisième Guerre mondiale, le monde est dévasté. Des scientifiques cherchent alors à voyager dans le temps pour sauver l’humanité. Le motif du voyage dans le temps est l’occasion pour Marker d’interroger le rapport du cinéma à la mémoire et à l’histoire. Un premier vertige temporel est créé par la figuration de la guerre à venir par les images des guerres passées. Pour Marker, comme pour Resnais, le passé ne doit pas être considéré comme un temps révolu mais est toujours susceptible de refaire surface (“ça recommencera” ne cesse de répéter Emmanuel Riva dans Hiroshima mon Amour). Pour ces deux cinéastes, le cinéma permet précisément de mêler les temps, en inscrivant le passé dans une expérience du temps présent. Toutes ces réflexions théoriques se fondent dans la forme même du film - presque entièrement constitué d’images fixes -, qui épouse le fonctionnement même de la mémoire et bouleverse par sa mélancolie.
NB: Des visions du futur de Minority Report (Spielberg) et de Dead Zone (Cronenberg), aux films plus introspectifs et oniriques comme Le Miroir (Tarkovski) ou Oncle Boonmee (celui qui se souvient de ses vies antérieures) (Weerasethakul), cette liste mériterait d’être complétée par ces films qui mêlent les temporalités sans en faire des voyages temporels au sens strict. Enfin, certains grands films mobilisent ce motif sans en faire un enjeu narratif central, ce qui explique l’absence de 2001: L’Odyssée de l’espace (Kubrick), Le Prince des ténèbres (Carpenter) ou de Jauja (Alonso) et son saut temporel final.
Robin VAZ
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