" Jeune loup mexicain dont les Amours chiennes furent l'une des sensations de l'année 2000, Alejandro González Iñárritu persiste et signe : chiennes de vie en pagaille au programme de ce nouveau film, en partie produit par Hollywood. Une sorte de fricassée de destins violents et tragiques dans une ville américaine triste à mourir. (...)
Dans 21 Grammes, trois pros remarquablement choisis accomplissent des prouesses à donner la chair de poule. Ils sont tous dans le paroxysme, la douleur de vivre ou de mourir, les affres insupportables de la maladie, du deuil ou de la culpabilité. Ils en font vingt et une tonnes, mais, miracle, ce n'est jamais trop. Vive le film d'acteurs derrière le film d'auteur, donc (...)
Reste à savoir à quoi rime au juste ce grand chaos d'émotions, si magistralement exécuté (...) Comme jadis Kieslowski, autre grand emmêleur de lignes de vie, Iñárritu se veut métaphysicien. Le concassage chronologique qu'il pratique n'est pas seulement destiné à dynamiser le récit, via une débauche d'effets de montage. Il suggère aussi que l'après est toujours écrit dans l'avant, l'avenir en germe dans le présent. En particulier : toute embellie de l'existence serait déjà virtuellement anéantie par une future catastrophe qui ne manquera pas de se produire.
Ce sombre déterminisme est certes l'affaire du cinéaste, mais il s'illustre ici avec trop d'insistance (...) Iñárritu, qui est décidément très habile, ne se laisse pas tout à fait circonvenir par cette fatalité de système. Plus discrètement, il oxygène son film avec l'idée que tout circule, se transmet et se transforme, le coeur de l'un, la semence de l'autre. C'est donc sur une fugace note d'espoir qu'il nous débarque de sa grande roue du malheur. Et nous laisse un peu sonnés, à moitié convaincus. A quand le tour suivant ? "
Louis Guichard