" Action Mutante est une manière d'Iparretarrak tératologique (bigre), un commando de freaks idéologues, une phalange de clowns rouges - la bande à Pinder. Ils sont séparatistes à la mode des manchots. Un proverbe hassidique dit que seul un cœur brisé est entier. Seul un corps brisé est entier, rectifient nos mutants. Et, pour ce qui est de vous les briser, vous pouvez les en croire. Auprès de leur armurerie, les pistolets Uzi et AK-47 semblent des tasses à thé et la National Rifle Association un club de philatélie.
Grand prix du jury au Festival du Cinéma fantastique de Montréal, le premier film de l'Espagnol Alex de la Iglesia, coproduit par Pedro Almodovar pour 3, 5 millions de dollars, est une comédie gore, époustouflante et déglinguée, une profonde pochade, promise à l'estampille « film culte ». Le cinéaste nous plonge dans une science- fiction de quatre sous. Nous sommes en 2012. Mais les ennemis d'Action Mutante sont nos ennemis, aujourd'hui et maintenant.
En 1993, le terroriste Ramon tiendrait à peu près ce discours. La Claudia-Schifferisation du monde ? Nous sommes contre. L'après-shampooing ? Nous préférons le cocktail Molotov. Le fascisme cosmétique ? Il ne passera pas. Les véritables terroristes s'appellent Cindy Crawford, Linda Evangelista, Estelle Hallyday, Naomi Campbell, Stéphanie Seymour, ces inhumaines bombes ! (...)
Les membres d'Action Mutante ont un grand mérite : ils nous rappellent aux vraies choses de la vie. Lorsque, comme Alex, vous avez un frère siamois nommé Juanito, auquel on fracasse le crâne avec une hache, qu'il vous faut traîner son cadavre comme un boulet sur des kilomètres, cadavre d'abord putréfié, puis empaillé par un taxidermiste de passage, et qu'enfin on pende votre frère par le cou - et vous avec - au plus grand arbre du désert de la planète Axturias, il est vrai que la question du cholestérol apparaît tout à coup secondaire.
Coproduit par la télévision (TF I), « Action Mutante » est une machine de guerre contre la télévision. Aujourd'hui, le cinéma est un handicapé moteur, face à la toute-puissance télévisuelle. Le cinéma tient du Cinémathon. C'est une bonne action mutante.
Un film, c'est monstrueusement humain, c'est plein de démangeaisons et d'imperfections, ça se ronge les ongles, ça ne se lave pas les cheveux, c’est plein de pellicules, un film. Mais quand ça passe à la télévision, on vous l'épile, on vous le parfume, on vous l'endimanche, on vous le colorise, on vous l'enguirlande de spots publicitaires, et après cela, on lui dit : soyez vous-même...
« Action Mutante » dénonce avec drôlerie ces images propres, allégées, ces images au teint de pêche. Il nous introduit dans le petit monde des vérités verruqueuses.
Pour Alex de la Iglesia, le gore est un humanisme. Comme Bossuet, ce jeune cinéaste pense qu'il faut parler par des plaies [..], émouvoir par du sang ». Sur la planète Axturias, la fille du fabricant de pain complet nourrit un syndrome de Stockholm envers Ramon, son ravisseur-tortionnaire. Profonde métaphore.
Le cinéma nourrit un syndrome de Stockholm envers la télévision. Il l'idolâtre, il l'imite. Iglesias veut exorciser cette fascination fatale. Son cinéma frappe comme un sourd sur le petit écran, il le démantibule, il lui pisse à la raie. Quitte à dire, comme Ramon après avoir égorgé et décapité les quatre cinquièmes de son gang, que décidément, » la violence ne résout rien »
Fabrice Pliskin 25/11/93