La façade d'une maison cossue dans un coin tranquille de Paris. Deux jeunes gens qui discutent à la sortie d'une école sans que leur dialogue soit audible. Le premier et le dernier plan de Caché sont les plus importants du film. Mais, quand bien même on les raterait, impatient que ça commence, pressé d’en finir, ce qui passe entre ce début et cette fin ne fait que poser inlassablement les mêmes questions : qu'est-ce qui arrive quand on se met à douter de ce qu'on regarde ? Qu’est-ce qui se passe quand on ne voit rien ? Ou pas grand-chose. Une maison, une sortie d'école, rien que de banal, avec une certaine persévérance cependant.
Sésame. Outre qu’elle agace notre capacité à tenir en place devant une image, aussi sage soit-elle, cette insistance de l'ordinaire agit comme un sésame qui ouvre des portes grinçantes. On nous montre quelque chose, on regarde, on ne voit pas. C'est toujours la même chose et c'est en même temps extraordinairement varié. Des zones d’attention découpent autrement le cadre, toute une géométrie dans l’espace où, par bouffées, des nébuleuses se mettent tour à tour à briller. Ici, les plaques de rue, là, l’«événement» d’un passant qui traverse l'image. A la longue (de guerre lasse ?), on pense à autre chose, à quelque chose qui nous intéresse, quelque chose qui nous inquiète, caché en effet. La preuve, on finit par entendre des voix sans les voir, une femme, un homme. Mais quand ce «off» devient «in», lorsque la bande-son cesse de faire bande à part et que commence «vraiment» l'histoire officielle du film, quand le trouble inaugural s'incarne dans des corps et des noms, pour ainsi dire domestiqué, il n'en est pas moins pressant. Plutôt chien que loup, il a changé de régime, mais pas de nature. C'est toujours la même Chimère qui montre la dent. [...]
Grouillement. Car cet affolement d'interprétations est la plus belle fausse piste du film. Ce qui est caché et fait retour, ce n'est pas ce bon vieux refoulé, joker fourbu, mais quelque chose qui, au contraire, n'a jamais cessé d'être là, une présence qui dure et insiste. Qui filme ? Quelqu'un ou quelque chose. Et il n'est guère rassurant de savoir que derrière toutes les caméras du film, qu’elles soient de surveillance, invisibles ou manifestes, il y a un meneur de jeu, un maître, dénommé Haneke. Étrange «réalisateur» qui se laisse sciemment déborder sur son terrain de filmeur en chef. Et qui ne va à ses acteurs que par la sorte de terreur qu'ils lui inspirent : le rire trop fou de Juliette Binoche, les colères éruptives de Daniel Auteuil. [...] Car, enfin, n'y aurait-il pas quelque chose d'encore plus inquiétant que ce qu'on devine ? Quelque chose qui serait caché partout ? Ce qui alerte dans ce film, ce n’est ni la culpabilité, ni le secret, ni le pardon, ni ['élucidation mais une présence folle, un grouillement de violences qui ne fait qu'un avec la pullulation des signes.Le monde des signes n’est pas un monde rassurant. C'est comme la télé, bruit de fond permanent, qui devient peut-être encore plus alarmante quand elle est éteinte. Caché est un film où l’émotion rend à l'esprit le son bouleversant de la matière. Comme il fait froid, comme II fait peur. De quoi se cacher en effet.
Gérard Lefort, 05/10/2005
UNE MERDE CE FILM A LA CON