" Appelons cela un art de la fugue, une échappée hors du roman de Melville, dont l'adaptation est réputée impossible. Du légendaire Moby Dick, le cinéaste a surtout gardé le personnage principal - Achab (prononcez Akab) - et a hissé les voiles pour explorer son enfance et ses tribulations avant qu'il devienne ce fameux capitaine de navire baleinier, dur à cuire obsédé par le monstre blanc.
Philippe Ramos a résolument joué la carte du romanesque : débuté au fond des bois où Achab enfant vit avec son père chasseur, le périple nous emmène jusque sur l'île nue de Nantucket. Entre-temps, on croise un peintre bohème, un bandit de grand chemin, un dandy sadique, un pasteur bienveillant...Cette galerie de portraits pittoresques et l'itinéraire de l'enfant donnent à l'aventure un côté Oliver Twist ou Tom Sawyer. Achab grandit en effet dans plusieurs maisons, rencontre des gens bons ou cruels et finit toujours par s'enfuir, comme si sa place n'était nulle part, sinon sur cette mer qui l'appelle de très loin, cette mer qui sera son salut et son tombeau. Point d'action trépidante et immédiate pour autant dans ce romanesque-là.
Le film tient à la fois du roman-photo historique et des illustrés de la fin XIXe, composés de photographies et de dessins. Des images pénétrantes comme des réminiscences, des symboles, des détails. Le moindre accessoire, le moindre décor (imaginé par le cinéaste lui-même) est chargé d'une haute valeur poétique. Les péripéties ne manquent pas, mais elles sont épinglées comme autant d'instantanés. Les personnages posent d'ailleurs souvent, conformes à leur statut, à leur rôle social.
Dans ce qu'il montre, Ramos ne recherche pas le vrai, il compose, s'amuse avec le pittoresque, célèbre magnifiquement les paysages. Ce qui est grave se niche plutôt dans les voix off des narrateurs successifs. Le film dès lors devient mélopée, incantation. Il fallait des voix pour cela. Celles des acteurs - la plupart sont des habitués du théâtre - sont formidables de ferveur maîtrisée.
Tout le film vibre d'une tension intérieure. Parfois, cette ferveur se tourne vers l'autre : c'est la dévotion amoureuse d'Anna (Dominique Blanc), grande dame qui ouvre son coeur, ou la foi religieuse du pasteur (Carlo Brandt). Dans le cas d'Achab, aveuglé, la ferveur est un enfermement dans sa propre enfance. Le film montre bien tout ce qu'il a surmonté comme épreuves terribles, il montre aussi cruellement tout ce qu'il n'a pu accomplir, saisir : quelque chose de cette beauté du monde que Philippe Ramos nous fait si bien sentir."
Jacques Morice
Un excellent film....A voir absolument...