Guidés par le hasard, Don Quichotte et Sancho poursuivent jour et nuit leur voyage à la recherche d'aventures. Ils chevauchent à travers champs, bivouaquent à la belle étoile, conversent, guettent un ennemi invisible. Poème ou allégorie, le film a suscité curiosité et enthousiasme (Cannes-Quinzaine des réalisateurs 2006; Prix Fipresci - Viennale 2006; Prix Lancia du Meilleur Film - Festival de Turin 2006; Grand prix - Festival de Belfort 2006), révélant un nouvel auteur atypique : Albert Serra.
"... Les plans de Serra tiennent à cheval sur deux royaumes : la terre, vieille et maudite (les guerres ou le grand vide, et rien entre les deux à se mettre sous la dent), et un ciel, menaçant quand il est peint par un Turner divin et d'un bleu mythologique quand c'est Poussin qui s'empare du pinceau. On croit contempler cela avec distraction, sans faire totalement partie du film.
Le plus grand mystère d'Honor de cavalleria reste pourtant l'expérience de sa projection. Quand on en sort, quelqu'un, dans la rue, nous fait cette remarque étrange : «Tu as pris des couleurs.» Ce qui a du sens après avoir passé près de deux heures en plein cagnard sous des bourrasques de tramontane. Le film s'est inscrit à l'intérieur de nous dans sa totalité. On croyait lui échapper, on s'est encore fait avoir. Tant mieux, le cinéma étant le dernier lieu de la belle arnaque : c'est quand on perd face à un film que l'on ressort avec le sentiment d'avoir généreusement reçu quelque chose."
Philippe Azoury
Télérama
"... Ici s'écoule lentement le temps, ici s'offre la nature. On entend les grillons. Herbes hautes, lumière entre chien et loup. Deux homme...
"... Ici s'écoule lentement le temps, ici s'offre la nature. On entend les grillons. Herbes hautes, lumière entre chien et loup. Deux hommes fourbus font une halte pour se reposer (...) Le premier parle un peu, le deuxième ne dit rien. Le moulin à vent, les élucubrations de Quichotte et le bon sens de Sancho, tous ces attributs associés au roman de Cervantès ne sont plus là.
Albert Serra, qui signe là un premier film de toute beauté, a tout raclé pour ne conserver que la matière brute. Deux corps dans un paysage. Deux hommes qui cheminent, mangent, dorment. C'est une aventure au quotidien. Le Graal ou l'ennemi restent indéfinis, ce qui importe c'est de se tenir prêt. Etre à l'affût du monde, voilà la proposition à la fois simple et effrontée de ce Don Quichotte revisité avec les moyens du bord. Un âne, un cheval, une armure et une épée, cela suffit.
Même les dialogues sont rares, mais magnifiques lorsqu'ils éclosent. « On a gagné mais je reste triste. La vie est un chemin de tristesse », dit le chevalier Quichotte à son fidèle Sancho. L'action rime avec contemplation, ce terme tant galvaudé qui retrouve ici sa vertu première. La moindre caresse du vent, la moindre noix cassée pour la collation devient source de béatitude. Quête éreintante, compensée par des moments d'une quiétude qui semble infinie..."
Jacques Morice
Cahiers du Cinéma
"Le film est moins que l'hypothèse d'un monde : une pause, un havre."
" ... parmi les cent douze notes d’intention qu’Albert Serra rédigea dans le mois précédant l’écriture du scénario (...) précieuses pour comprendre le travail de décapage auquel se livra le cinéaste avant d’arriver à cette écriture souple, à l’image des vagabondages des deux héros (...) Ainsi, reprenant une formule de Serge Daney à propos de Rossellini disant que celui-ci cherchait « le présent du passé », Serra ajoute : « C’est-à-dire qu’il faut chercher le moment où le passé est en train de passer pour obtenir, même dans des films historiques, la plus grande qualité de présent. D’où l’opposition entre les cinéastes qui se contentent de reproduire l’image morte du passé et ceux qui cherchent à ressusciter le présent du passé – ce que j’ai fait. »
C’est à lire ce commentaire à propos des plans 30 A et 30 B sur le face-à-face entre le Quichotte et Sancho dans un pré et la part d’eux-mêmes qu’ont apporté au rôle ces deux acteurs non professionnels, tous deux du même village, qu’on saisit que, peut-être, ce « présent du passé » n’est autre que l’attention portée au vécu des comédiens tout autant qu’aux êtres de fiction.
Tout le travail du film, un film très élaboré dans son apparente simplicité, surgit là. Un travail à ses divers stades, du départ de l’écriture au montage en passant par le choix des interprètes pour donner cette cohérence (jamais forcée ici, mais comme allant de soi) qui fait qu’on est devant une œuvre et non pas un produit.
Mais « l’allant de soi » ne vient pas par miracle. Le cinéaste dit un peu plus loin, à propos de la scène où le chevalier est emmené de force sur un cheval : « Là aussi, on part de la réalité, du vent, mais on l’amplifie ou on le diminue, on enlève d’autres sons pour obtenir cet entre-deux du naturalisme et de l’abstraction. On ne pouvait pas utiliser le vent enregistré car on aurait eu le bruit des chevaux, très riche, très fort. »
Ce ne sont là que deux exemples parmi toutes ces remarques faites à partir de la matérialité même de ce que le film donne à voir et à entendre : des images et des sons. Et comment les unes et les autres peuvent conduire le spectateur à une découverte au plus près du sens qu’a recherché le réalisateur."
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Nul : est ce même un film ?