" « Que les choses soient claires, je ne suis pas communiste ! », lâche souvent Robert Reich sur les plateaux de télé. Avec un large sourire, pour repousser au loin l'effroyable soupçon. Dans les talk-shows américains, on ne plaisante pas avec ça. L'adhésion au communisme reste largement perçue comme un aveuglement idéologique total, en même temps qu'une trahison au pays. Qui mérite, sinon un passage par les armes, au moins la disqualification immédiate d'une participation au débat politique.
Quelles idées subversives propage donc Robert Reich, figure majeure de la politique américaine ? (...) D'ordinaire, à la télévision, Reich s'en tient à quelques formules chocs, concentrant l'essentiel de ses forces à contrer les attaques atomiques (« Are you a commie ? ! ! ! »). Ses démonstrations fines et documentées, il les développe dans ses livres (une quinzaine), des conférences tous azimuts et ses cours à l'université de Berkeley, Californie. Mais voici qu'il dispose d'une arme nouvelle pour élargir le cercle de son public : un film documentaire.
Réalisé par le très habile Jacob Kornbluth, Inégalité pour tous, Prix spécial du jury du festival de Sundance 2013, est tout entier conçu pour lubrifier les neurones et infuser la pensée de Reich au plus profond des cerveaux. Et ça marche ! Graphiques lumineux, reportages auprès de républicains « d'en bas » qui ne s'en sortent plus et de richissimes entrepreneurs indignés d'être moins taxés que leurs employés, tout est bon pour faire de la pelote d'abstraction un fil limpide et visuel.
Surtout, il y a le charisme de Robert Reich, 67 ans, petit par la taille (1,50 m), grand par l'esprit. De son infirmité (il est atteint du syndrome de Fairbank, qui bloque la croissance des os), il a fait un atout, une mine de blagues. Rien de tel que l'autodérision pour se mettre les auditoires dans la poche. Un peu à la manière d'Al Gore dans Une vérité qui dérange, Reich parle volontiers de lui-même, de sa trajectoire politique belle comme une légende : stagiaire d'été au service de Robert Kennedy en 1967 (« une époque de géants ! »), membre de l'administration Carter en 1977, ministre du Travail de son « ami » Bill Clinton de 1992 à 1997...
(...) Pour Robert Reich, Inégalité pour tous est une sorte d'antidote contre un poison qui gangrène les esprits : le sentiment d'impuissance. A en croire la doxa médiatique, notre système économique ne serait pas réformable. Cela est faux, assène-t-il avec force arguments, c'est un mensonge entretenu par les puissants pour protéger leurs intérêts. Il se plaît à penser que ce film peut contribuer à dissiper le brouillard ambiant et « inciter les Américains à s'insurger contre des inégalités qui mettent en danger notre économie et notre démocratie »."
Marc Belpois