" L'histoire se réduit à une épure : comment deux grands timides attirés l'un par l'autre vont se décoincer grâce à la musique. Cela filmé en dix phrases de dialogue et en tricolore intégral. Bleu roi pour lui, sanglé dans son costume vintage au volant d'un combi Volkswagen. Rouge sang pour elle, brune déliée en robe estivale. Blanc pétant pour le fond qui les réunit, au coeur d'une ville non identifiée de notre si beau pays.
Cela se passe donc en France, mais pourrait aussi bien se passer ailleurs. Quoi au juste ? L'insensible rapprochement entre Alain et Rosalba ? Leur boulot de guides à l'agence Touriste ? La soirée de feu qui les jette dans les bras l'un de l'autre ? Sans doute. Mais surtout la fièvre inquiétante qui allume ces deux introvertis, les enflamme, les consume. Cette fièvre a pour nom musique. Relativement contrôlée chez Alain, qui se débonde et se déhanche à la soul, elle est sans limites chez Rosalba, dont le corps se met en branle de lui-même, au moindre accord qui flotte dans l'air.
De la Sonate n° 11 en la majeur de Mozart à Love potion n° 9 des Coasters, en passant par la Toccataet fugue en ré mineur de Bach et The Snake d'Al Wilson, cette inclination du corps à la transe fournit au film quelques variations pleines de poésie burlesque : comment se maquiller quand on a le bras qui se démantibule ? Comment marcher dans la rue quand on a les jambes qui tricotent ? Comment dîner aux chandelles quand on a le corps qui se disloque ? L'irrésistible montée en puissance du motif conduit les personnages à un dérèglement sensuel qui contamine les spectateurs, les jette à leur tour dans la ferveur de la possession par la danse. Si peu de mots, tant de grâce. Si peu de psychologie, tant de présence.
Le film doit évidemment beaucoup à ses interprètes principaux. Rosalba Torres Guerrero, 37 ans, corps de liane et danseuse professionnelle chez Teresa de Keersmaeker et les Ballets C de la B. Et Serge Bozon, 39 ans, critique, acteur, cinéaste (Mods, 2003 ; La France, 2007...), dandy logicien exerçant une influence directe sur la tendance "northernsoul" des B. O. de quelques films français contemporains. Il n'en doit pas moins à Yann Le Quellec qui, l'air de rien, montre que la meilleure manière pour la musique de prendre corps au cinéma consiste à y prendre les corps. La littéralité, parfois, confine au génie."
Jacques Mandelbaum