" ... Étrange histoire en effet, et belle, de l'amour qui relie une mère à son fils et de l'innocente beauté du fils de ce fils qui est peut-être un ange, sorti on ne sait d'où, ramené de force à ce père qui ne l'avait jamais reconnu. Tout est ici de l'ordre du réel même le magique.
Ainsi, quand cette mère a décidé de mourir pour sauver son fils, achète-t-elle la veille de ce grand jour quantité de bonbons pour les distribuer à tous ceux qu'elle va quitter. Comme le menuisier lui demande pourquoi ce cadeau, elle répond qu'elle va partir pour l'autre monde. " Alors, n'oublie pas de saluer mes ancêtres ", lui dit-il sans lâcher la planche qu'il façonne, du ton même dont il l'aurait priée de passer le bonjour aux cousins du village voisin. Car cette mort voulue n'est pas un suicide. Elle est naturelle, aussi naturelle que peut l'être une faveur que Dieu ne peut manquer d'accorder à ceux qui savent croire en lui avec assez de force pour être entendus (...)
Qu'on ne s'y trompe surtout pas : cette candeur des personnages - et du récit - n'est pas celle de Djamched Usmonov. Seul un cinéaste parfaitement maître de son écriture peut se tirer de cette navigation hasardeuse entre la terre, le ciel et l'enfer. Un exemple, un seul, mais c'est tout le film qui doit être vu avec cette exigeante attention. Hamro, le fils d'Halimi, mauvais garçon aux allures de loup revenu de Moscou où il vivait, a tenté une première fois prendre de force une jeune parente, Savri, qui s'est refusée à lui. Blessé, il est envoyé à l'hôpital où elle lui donne les premiers soins. Tout va être dit en un seul plan : il est assis sur une chaise, elle debout à sa gauche, qui lui panse la joue. Lentement, il relève le bras gauche, et lui entoure la taille. Elle s'écarte, enlève son foulard de tête, mais sans colère comme on le lui avait vu arracher la première fois et disparaît hors champ. On ne voit plus à côté de lui, sur le mur qu'une ombre indistincte, celle d'une femme qui se déshabille. Léger mouvement de caméra vers la droite : un rideau la cache laissant deviner sa silhouette, lui s'approche, les deux ombres se rejoignent. On n'en verra pas plus.
De même que la sauvage violence du film est à un moment dit à travers les images d'un film indien que vont voir les paysans que décrite comme telle : c'est le blanc à l'écran d'une bobine terminée qui dira que le projectionniste (Hamro) a été poignardé par les mafiosi venus de la ville. Film magique, donc, et la magie vient en bonne partie sans doute de ce qu'il est joué par des non professionnels, par la famille même du réalisateur. Et qu'apparemment il ne leur a pas demandé de jouer sur un texte mais de le dire avec toute l'impressionnante raideur de ceux qui sont pour la première fois confrontés à cette expérience. Et dans ce hiératisme se marque mieux encore sans doute le va et vient entre le réel quasi ethnographique du décor et le mystère des personnages.
C'est assez dire que l'Ange de l'épaule droite est (...) une de ces météorites tombées du ciel comme il en arrive assez peu souvent sur la planète cinéma, habitée de tant de clichés ressassés."
Emile Breton