" (...) Bron a posé ses caméras au cœur de l’Opéra de Paris, aussi bien au palais Garnier qu’au paquebot mitterrando-languien de la Bastille. Sa méthode est peu ou prou celle de Frederick Wiseman, immense spécialiste de la vision cinématographique et analytique des grandes institutions : passer beaucoup de temps en immersion dans le ventre de la bête, sonder tous ses organes, produire des dizaines d’heures de rushes et en extraire un récit voire une substantifique moelle grâce à l’art minutieux du montage, le tout sans émettre le moindre mot de commentaire.
L’Opéra de Paris est un “bon client” pour ce genre d’approche, d’abord parce que les chanteuses, chanteurs, danseuses, danseurs, musiciens et chefs d’orchestre sont des espèces cinégéniques. Ensuite parce que l’opéra est une énorme machine et que derrière l’art, il y a beaucoup de travail, partie cachée de l’iceberg que dévoile superbement ce film. Metteurs en scène, décorateurs, régisseurs, machinistes, costumières, blanchisseuses, repasseuses, c’est toute une ruche de “petites mains” et de “gros bras” bossant et suant dans l’ombre que montre Bron et sans lesquels nul Traviata ne pourrait advenir.
(...) Que l’on aime ou non l’opéra (personnellement, c’est oui, à doses modérées), ce film est réussi parce qu’il ne s’intéresse pas au spectacle en soi mais au travail, aux relations humaines et sociales, aux rapports de pouvoir, aux conflits, aux élans, à la somme des mille petites parties devant former un tout visant la perfection (parenté évidente avec le cinéma).
Il y a ici autant de suspense (mais infiniment plus naturel) que dans une saison de téléréalité, autant d’humour que dans une comédie (voir le casting du taureau pour Moïse et Aaron), autant d’épaisseur humaine et d’enjeux que dans n’importe quelle bonne fiction. L’Opéra, c’est du grand cinéma parce que tout en imprimant son regard subjectif et ses choix de montage subtils, Bron a préservé la part pleinement vivante de l’organisme humain qui palpitait devant lui."
Serge Kaganski, 31/03/2017
magnifique