" Démonstration magistrale en trois mouvements par Nadav Lapid : Le Policier est un grand film sur une société qui ne va pas bien.
Premier mouvement, la vie quotidienne de Yaron, beau jeune homme, la trentaine. Côté cour, Yaron est membre d’une unité d’élite de la police ; côté jardin, il se prépare à devenir père. Procréer, c’est une étape fondamentale dans la vie d’un homme, et plus particulièrement dans la culture juive, pour des raisons existentielles, et dans la culture israélienne, pour des raisons politico-démographiques.
Jeune homme empli de confiance en lui, en son métier, en son pays, Yaron est donc saisi ici dans un moment surdéterminant de sa vie, et la mise en scène de Nadav Lapid le montre bien : il ne tient pas en place, s’agite, fait du sport, écoute du hard-rock, drague…
On voit aussi Yaron dans le cadre de son métier (...) Yaron et ses potes superflics ressemblent aux héros de Top Gun : corps musclés, peaux bronzées, cheveux courts, Ray-Ban, camaraderie masculine, homosexualité latente.
Lapid analyse avec une clarté impressionnante la façon dont un certain culte du nationalisme et de la virilité a infiltré une partie de la société israélienne : l’association entre violence et puissance sexuelle, arme et virilité, n’est plus une métaphore.
Une scène inattendue sous ces latitudes (...) nous amène au deuxième mouvement du film : une poignée de jeunes bourgeois, membres d’un petit réseau gauchiste, décident de passer à la lutte armée.
Ces descendants lointains (au sens historique et géographique) des Brigades rouges et de la bande à Baader veulent mettre fin à l’injustice sociale en enlevant des grands patrons.
Ils sont beaux, sexy, mais d’une froideur glaçante. Leurs objectifs ont beau être plus nobles que le patriotisme obsidionnal des superflics, ils leur ressemblent : même fascination sexuelle pour les armes, même génération, même aveuglement au service d’une cause sacrée (...) La dernière partie du film confrontera ces deux groupes opposés et ressemblants, ces deux faces extrêmes de la société israélienne. On ne dévoilera pas le résultat du match…
Pas de conflit israélo-palestinien ici, ou seulement par allusions sous-jacentes. Car même en Israël, la vie intime, sociale et politique ne se réduit pas à un seul sujet, fût-il important.
La force singulière du film de Nadav Lapid consiste à montrer que la société israélienne est autant menacée par elle-même, sa propre engeance, ses propres aveuglements, que par l’Autre (le Palestinien, l’Arabe, le musulman).
Et si la société israélienne est parfois aveugle, Le Policier serait plutôt du genre extralucide, tant scénaristiquement que stylistiquement, avec ses cadrages tranchants, sa lumière limpide, mais aussi ses ellipses et non-dits féconds.
Ainsi, beaucoup de séquences se concluent par des points de suspension, laissant des zones d’incertitude dans un film qui semble pourtant extrêmement clair et net."
Serge Kaganski
un film sans musique qui assène un coup...
excellent