"Il fuit. Il croit qu'il reste, mais il fuit. Il croit qu'il donne, mais il prend. Il croit qu'il aide, mais il tape. Daniel (Romain Duris, fébrile, furieux, terrifié) marche, parle, court, râle, toujours en mouvement, toujours en absence. Et voilà qu'un homme se met à le suivre, le traquer, le harceler. Un demi-clochard, croisé dans le métro, un cinglé qui se dit fou d'amour... C'est encore un de ces affrontements psychologiques comme en charrie le cinéma français. Sauf que celui-ci est dérangeant. Comme ses personnages, Patrice Chéreau n'aime pas que « ce soit fluide ». Il montre, en plans secs, courts et vibrants (on dirait du free jazz qu'évoque, d'ailleurs, l'ambiance musicale d'Eric Neveux), des êtres qui, pour éviter la chute, tentent de se raccrocher les uns aux autres, mais en vain. Chéreau happe un drôle de monde à cran, où l'on se gifle, dans le métro, pour un sourire mal compris, où ce sont les persécuteurs qui se sentent persécutés, où chacun cherche en l'autre à la fois sa copie conforme et son double inversé. Il y a, évidemment, dans ce film superbe - le plus beau de Chéreau -, des lueurs et des abîmes dostoïevskiens chez les personnages, qui, tous, foncent dans la nuit pour trouver une possible lumière. Sonia s'appelle Sonia - comme l'ange salvateur de Crime et châtiment. Quant au « persécuteur » de Daniel (Jean-Hugues Anglade, formidable), il se mue, lors d'une scène magnifique, en confesseur. Une présence bienfaisante. Et l'on devine, alors, parce que c'est le seul à savoir aimer vraiment, qu'il continuera, en dépit des tortures et des rebuffades, à veiller, de loin, sur son amour, telle une sentinelle..."
Pierre Murat