" Peter Watkins reste fidèle à sa technique : politique-fiction mais traitée comme un document d’actualité. Futur pour le contenu, présent pour le contenant: les deux se brouillent si bien que le futur paraît présent et que la fiction politique, devenue objet de reportage, perd son caractère fictif. On n’assiste pas aux films de Watkins impunément, bousculés que nous sommes par ce violent téléscopage des perspectives. Nous voilà prêts à jurer qu’appartiennent à la réalité d’aujourd’hui ces scènes imaginaires — mais d’un imaginaire si logiquement lié à la réalité politique d’aujourd’hui que l’imagination anticipe seulement, et d’une anticipation si inévitable que l’ont peut (Watkins en tout cas) les considérer comme déjà présentes.
Avec la Bombe, Watkins imaginait la Grande-Bretagne écrasée par une bombe atomique ; avec les Gladiateurs, il supposait que les guerres, trop désordonnées, étaient remplacées par des Jeux Olympiques on ne peut plus mortels, qui permettaient les destructions raisonnées de matériel nécessaires à l’expansion économique, la suppression du chômage, et l’entretien délibéré des tensions entre les systèmes antagonistes. Dans Punishment Park, il s’intéresse à l’Amérique en sauvage; des commandos de police et d’armée, avec jeeps, hélicoptères, mitraillettes et toute la panoplie du parfait chasseur d’hommes, obligent les malheureux à cavalcader à travers soleil, roc et caillasse en une épreuve qui tient du «parcours du combattant», du jeu scout avec signes de piste, du safari et de l’ordalie médiévale, puisque les vainqueurs de l’épreuve gagnent leur liberté.
Bien sûr, personne, jamais, n’atteint le but (un drapeau américain planté sur un tas de pierres) en temps voulu. Ce «park» est un instrument de torture qui, mêlant le sadisme et l’astuce féroce, permet à l’administration d’éliminer physiquement les subversifs tout en respectant les apparences d’une justice avec tribunal administratif et jugement de Dieu, et d’une police éminement sportive au service de cette justice. Aussi machiavélique que ses «justiciers», Watkins enlace très étroitement les séquences de tribunal avec les séquences du Punishment Park. Ce pathétique dialogue de sourds (car les jurés sont de bonne foi, c’est évident) conduit inéluctablement à cette chasse à l’homme affreuse où de jeunes hommes et de jeunes femmes aux cheveux longs tombent, tirés comme des biches ou massacrés par le soleil.
Pour augmenter l’illusion du reportage «à chaud», Watkins suppose que les Etats-Unis, pour enseigner, aux peuples de l’Europe occidentale, à mâter la subversion, ont invité les télévisions étrangères à suivre les séances de tribunal et de «park», avec possibilité d’interviewer aussi bien les jurés que les policiers et les condamnés. Nous suivons, mieux : nous sommes l'équipe de télévision. C'est hallucinant."
Jean-Louis Bory, 29 octobre 1973
magnifique , terrible , annonciateur . quelle claque que ce film et ce n est pas parce que j ai tourné avec lui dans la commune que je dis cela