"On pense bien sûr au Profils paysans de Depardon, réalisé dans des régions voisines. À ceci près qu’ici, dans des paysages aussi verts qu’austères, l’approche nous mène davantage vers des causeurs que des taiseux. Ça gueule, ça jacasse, ça patoise, le bâton ou le canon de rosé à la main. Un monde sans richesse, mais qui déborde de mots et de choses — la pièce à vivre des fermes est souvent un bazar sans nom, où s’entassent en montagnes objets et paperasse. Christophe Agou, disparu en 2015 alors qu’il avait à peine achevé ce film, a grandi dans le coin, auquel il était attaché. Photographe autodidacte exilé à New York, il est revenu régulièrement filmer ces gens qui lui ont accordé leur pleine confiance.
D’où la familiarité, l’émotion, le malaise parfois, qui émanent de ces paysans d’un autre temps. Ou plutôt d’une époque déboussolée, déréglée, qui ne sait plus quoi faire d’eux — le regard se fixe plusieurs fois sur des horloges arrêtées. Eux qui triment pourtant, qu’il fasse grand soleil ou qu’il neige. Eux qui ont surtout ce lien fondamental, à la fois primitif et obscur, avec les animaux, poules, bovins, oies, chats, chiens, au premier plan, toujours à leurs côtés. Tout au long de ce film, soutenu par une musique discrète mais lancinante de Stuart A. Staples, sourd ainsi une mélancolie. Celle d’ancêtres marginalisés, un peu illuminés, un peu prophètes, détenteurs d’une vérité qui les dépasse et que la caméra d’Agou a su traduire et sauvegarder."
Jacques Morice
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Sans adieu