" C’était au premier soir de la guerre de Six Jours. Un pilote israélien descend de son Fouga Magister, près de Beersheba. Le regard las et grave de ceux qui ont beaucoup tué. Une vieille amitié et, peut-être, le besoin de parier, le font s’approcher de moi : « Tu sais, dit-il, ce matin, quand on a décollé pour la première mission, je ne savais pas si, au retour, j’aurais encore un pays où me poser... »
C’était vrai, bien sûr, et sans appel. Mais avec, malgré tout, quelque chose d’un peu trop simple, d’un peu trop beau, d’un peu trop exemplaire. Un mur à Jérusalem laisse la même impression. Les documents, comme tous ceux que choisit de monter Frédéric Rossif — en collaboration, cette fois, avec Albert Knobler — sont parfois bouleversants, souvent émouvants, indiscutables toujours. Joseph Kessel signe un commentaire simple d’homme fort.
Quant à l’histoire, comme on dit, c’est celle du Juif errant s’installant sur ses terres, quittant le plus profond de cette Europe à feu et à sang pour apprendre, là-bas, « au pays », les rudes exigences de la vie de soldat-laboureur. Il faut déménager les dunes à dos de chameau, s’initier au maniement des bombes et à la grammaire hébraïque, construire la maison et faire pousser les tomates, refaire à la fois l’histoire et la géographie : ces images-là, qui montrent la métamorphose du Juif en Israélien, sont certainement les plus belles. D’ailleurs, Israël vit encore sur l’idéal héroïque d’alors ; là où l’on planta des arbres, des légendes ont poussé.
C’est en 1948, avec le vote de l’Onu créant l’Etat d’Israël, que bascule l’histoire des Juifs, et, en conséquence, le film. Une épopée horrible et sublime avait mené un peuple du ghetto au kibboutz (...) La dernière image fixe Moshé Dayan, en casque et uniforme, en train d’insérer selon la tradition, entre deux pierres du Mur des Lamentations, un papier plié portant son vœu : « Shalom », la paix.
Donc, « ça finit bien ». Et, à la vérité, peut-être trop bien (...) il faut prendre parti, choisir son camp. Frédéric Rossif l’a fait sans ambiguïté : le drame arabe, parfois sensible, reste en marge. Il ne s’agit évidemment pas de propagande. C’est, comme Mourir à Madrid, un film engagé qui aurait pu s’appeler, et pour les mêmes raisons, «Vivre à Jérusalem ». Mais Rossif, cette fois, est dans le camp des vainqueurs : certains le lui reprocheront (...) Un mur à Jérusalem est un film simple et beau. Avec, toujours, cette agaçante restriction : un peu trop simple, un peu trop beau."
J.-N. G, 18/11/1968