Il a à peine vingt ans qu'il écrit déjà pièces, articles, critiques littéraires et participe à des spectacles engagés à divers postes techniques. Jusqu'à ses trente ans, seul le théâtre l'accapare avec, en point d'orgue, en 1947, la mise en scène de Galileo Galilei de Brecht avec Charles Laugthon, montée à Hollywood et New York. Il entreprend divers voyages en Europe, et notamment à Cuba et en URSS où il affirme son idéal communiste.
C'est ce qui lui vaut d'être pourchassé et convoqué en 1952 par les commissions maccarthystes alors qu'il s'est imposé comme metteur en scène de cinéma avec Le Garçon aux cheveux verts (The Boy with green hair - son premier long-métrage, en 1948, avec Dean Stockwell, enfant). En exil (où il tourne sous pseudonyme) en Italie, puis en Grande-Bretagne, sa rencontre avec le dramaturge Harold Pinter lui ouvre la voie d'une reconnaissance internationale. Les critiques ont déjà signalé l'excellence de films comme Les Criminels (The Criminal, 1960), ou Eva (1963, avec Jeanne Moreau) mais c'est avec The Servant (1963) puis Accident (1967, Grand prix du jury au Festival de Cannes) et enfin Le Messager (The Go-Between, 1971, Palme d'or) que l'élégance et la richesse de ses mises en scènes séduisent, aussi, le public.Losey explore alors divers sujets où son goût de la direction d'acteurs l'amène à filmer des « monstres sacrés » : Elizabeth Taylor dans Boom ! (face à Richard Burton) et dans Cérémonie secrète (face à Robert Mitchum et Mia Farrow), Alain Delon dans L'Assassinat de Trotsky (face à Richard Burton) et dans Monsieur Klein, Jane Fonda dans Maison de poupée...
A chaque fois, il reste fidèle à une inspiration théâtrale, à laquelle le cinéma donne une nouvelle dimension. Ses films semblent explorer le monde comme un immense décor dont on pénètrerait enfin les coulisses, brouillant ainsi les frontières entre spectateurs, acteurs et metteurs en scènes. Car à l'intérieur des choix du réalisateur (cadre, récit, lumières...) c'est au spectateur, assimilé à la caméra, ambigüe, de faire, à la différence de la scène, ses propres choix dans une proposition qui tient de l'offrande onirique. Ainsi Losey peut-il accepter des films de commande, prévus à l'origine pour d'autres cinéastes (M. Klein, Les Routes du sud...), ou des défis « insolubles » comme l'adaptation cinéma de l'opéra de Mozart Don Giovanni, qu'il replace en pleine nature... mais pour mieux en souligner l'artifice, au milieu de statues, masques et effets de lumières anti-naturalistes.
Son dernier film, passé malheureusement inaperçu, Steaming, huis clos dans un sauna pour femmes résume assez bien les paris de ce cinéaste pour qui le 7e art était le terrain privilégié pour exposer des idées au plus grand nombre de la façon la plus directe et sensuelle qui soit. Une distanciation théâtrale, des performances d'actrices, un propos progressiste... soit une synthèse rapide de l'art du cinéaste. Losey disparaît le 22 juin 1984 à Londres. Le critique Michel Ciment, grand admirateur de son oeuvre, lui a consacré deux livres complémentaires et brillants : Le Livre de Losey (conversations rééditées en 2009 au sein de l'ouvrage Losey/Kazan, ed.Stock) et L'Oeil du maître (ed. Actes Sud).
Philippe Piazzo