Le plus grand défaut de Pierre Salvadori est à la source de sa meilleure qualité: il n'est pas actuel. Il est plutôt jeune, il débute au cinéma, il connaît à peu près toutes les ficelles de la culture télécontemporaine, mais il a mis en scène un premier film surréel par son éloignement de tout ce qui constitue le monde et dont le titre même a un air délavé, passéiste, hors jeu: Cible émouvante. [...]
Il relève d'autre chose que du cinéma. Rien, dans la psyché artiste de Pierre Salvadori telle qu'il l'expose dans son film n'offre d'attaches apparentes avec les films de ses pairs, et l'on serait bien en peine de lui trouver une ascendance au panthéon du septième art: son cinéma reste curieusement sans rapport avec le cinéma.
Absolument atypique, quasiment rétro, son film est si explicitement dénué de modernité qu'il en devient par là même un propos sur la modernité, un objet étrange et bien écrit, à la fois navrant et gai, irréductiblement éloigné de tout syndrome «jeune», et en ce sens marginal. [...]
Salvadori aura peut-être du mal à toucher sa cible et inquiétera peut-être par sa manière d'entériner, dans la rigolade, le schéma obscurantiste d'un gène criminel à l'œuvre parmi nous. Mais au nom de cette même inactualité, il touchera sans doute les amateurs de changement, pas fâchés de s'être délassés en compagnie d'un film intrigant, sinon émouvant.
Olivier Seguret, 19/08/1993