Côté court 2014 : Luc Moullet - rencontre avec un fraudeur frondeur
Entretien avec l'ironiste professionnel, arrangeur de films à bouts de ficelles, qui présente à Pantin son dernier1
A partir d'une boîte de thon, d'une omelette et d'une banane, enquête économico-sociale sur l'origine et l'itinéraire de ces produits avant leur consommation.
Au commencement de cette genèse, il y a un homme ( Luc Moullet dans son propre rôle) et une femme: ils consomment un repas frugal. Soudain l'envie prend à l'homme de connaître l'origine de ce qui est dans son assiette. A partir d'une boîte de thon, d'une omelette et d'une banane, enquête économico-sociale sur l'origine et l'itinéraire de ces produits avant leur consommation.
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" Lorsqu'un intellectuel décide de comprendre quelque chose, il va jusqu'au bout. Lorsqu'il est en plus homme de gauche, il s'attache à rep
" Lorsqu'un intellectuel décide de comprendre quelque chose, il va jusqu'au bout. Lorsqu'il est en plus homme de gauche, il s'attache à replacer son savoir dans un contexte politique, économique et social, il s'acharne sur les maillons de la chaîne capitaliste. S'il est par bonheur humoriste, il ne s'épargnera pas l'autocritique.
Etant cinéaste (Brigitte et Brigitte, Anatomie d'un rapport, etc.), Luc Moullet invite le spectateur à partager sa découverte et son explication du monde. Le jour où il a entreprise de trouver l'origine des oeufs, du thon et des bananes qu'il avait achetés et qui étaient là, dans son assiette, c'était pour le raconter. Genèse d'un repas est un film didactique.
Luc Moullet a donc remonté la filière. Il s'est rendu en Equateur pour les bananes, au Sénégal et à Boulogne-sur-Mer pour le thon, en Normandie pour les œufs. Il s'est fait expliquer comment la nourriture est distribuée, comment elle est répartie, et surtout, de quel travail elle est issue. C'est pour en arriver aux travailleurs que Luc Moullet est parti.
Il a constaté les inégalités, les injustices, d'un continent a l'autre et à l'intérieur d'un même pays, filmé la pauvreté et la richesse côte à côte, montré comment l'une est la conséquence de l'autre. Dans son montage, il a juxtaposé faits et interviews, morcelant constamment son explication pour que le spectateur réfléchisse un peu. On n'a parfois pas le temps d'assimiler les chiffres, mais passer incessamment de Machala à Dakar, de Boulogne à Paris, est un exercice salutaire.
"Les patrons mettent en concurrence les salariés du monde entier", dit Luc Moullet. Nous exploitons, nous profitons tous, tout ce que nous' possédons est volé au tiers-monde, conclut-il. Cela pourquoi ? Pour manger trop. Et Luc Moullet de raconter bien d'autres choses encore, sur un ton égal, nivelant le tragique et l'absurde, parlant de son filet à provisions et des dockers de onze ans, d'une voix qu'il faut s'empresser d'aller entendre."
" Les films de Luc Moullet sont des objets prodigieux, des aérolithes venus d'un univers lointain, insensibles aux variations des modes et
" Les films de Luc Moullet sont des objets prodigieux, des aérolithes venus d'un univers lointain, insensibles aux variations des modes et des saisons, inclassables et donc inclassés. Une autre forme, une autre écriture, croit-on d'abord. Pour un peu, on les croirait faits d'antimatière. Un autre monde, clos, autarcique, autonome.
On voit bien qu'ils sont faits dans un artisanat complet, avec obstination et patience, contre tous les vents, et toutes les marées de la production dite normale, mais où est la norme, et qui en décide. Une malice madrée et matoise présente sur le marché aux acheteurs déconcertés ces produits fabriqués à la main et qui se mesurent imperturbablement aux produits industriels et souvent standardisés proposés juste à côté.
Ces objets considérés comme non identifiables par les prétendus spécialistes ont été souvent victimes d'une réaction de rejet. Pas étonnant. Ils sont le contraire de cette image idyllique coloriée qu'on trouve dans les films de publicité, ces cuisines étincelantes, ces voilages artistiques, ces personnages de stéréotype des films de quarante-cinq secondes des entr'actes ou de la télé. Il faudra bien un jour regarder avec attention cette vision du monde et cette dramaturgie de la preuve que donne l'ensemble de ces films.
L'univers de Moullet est à l'opposé, comme décapé. Si on prend David Hamilton comme point de référence, la nudité, masculine ou féminine dans les finis de Moullet, par exemple, permet de comprendre de quoi il s'agit. Avec un culot d'enfer, Moullet nous montre en creux les poncifs ordinaires dont on nous abreuve, leur négatif, ou l'envers de leur décor. Brigitte et Brigitte , Anatomie d'un rapport », ainsi s'éclairent.
Genèse d'un repas apparaît alors comme une clé, la pièce manquante du puzzle.
Une idée lumineuse, évidente, rechercher la biographie, le cheminement et l'origine de ce qui sera servi sur ma table, le thon, la banane. Il suffisait d'y pen ser : remonter la chaîne. Le plat de résistance de ce repas, c'est donc l'oeuf de Colomb. Du même coup, deux évidences. Moullet existe, vous venez de le rencontrer, car la présence physique d'une épouvantable réalité a été brutalement superposée par lui à votre confort et à votre appétit ordinaires. Et deuxièmement, l'art de Moullet, le secret de Moullet se révèlent : c'est un art de la logique.
Une logique imperturbable, insensible aux galipettes de l'optimisme météorologique, s'applique avec la rigueur et la violence d'un couperet aux rideaux de fumée qui dissimulent la brutalité des faits. Le contraire absolu du flou artistique. On imagine assez bien, sur cette lancée, le film ethnographique ravageur qu'un Indien de l'Amazonie pourrait faire sur les mœurs étranges des Helvètes.
Logique, donc. Celle d'un humour glacé comme on en trouve peu d'exemples au cinéma. C'est aussi celle de Lewis Carroll. Evidemment désopilante, mais surtout inquiétante, terrifiante, perdue dans un labyrinthe, un jardin aux sentiers qui bifurquent. Oui, la patience et l'ironie. On se souvient peut-être de cette anecdote : dans les bourrasques, un meeting réformiste avait été convoqué quelque part dans l'Allemagne de Weimar ; les organisateurs firent passer cet avis : « en cas de pluie, la révolution aura lieu au gymnase ».
L'anticomédie de Moullet a lieu sous la pluie, et se moque des déluges. Ne nous y trompons pas. Genèse, d'un repas est certes bien quelque chose, comme les prolégomènes à tout Gault et Millaut futurs. Mais c'est surtout une parabole, qui incite à remonter tous les événements, pas seulement culinaires, mais culturels, politiques ou idéologiques. Prenez un chef de l'Etat, et remontez, avec la logique de Moullet, jusqu'au lycéen, au professeur de lettres classiques, au fondé de pouvoir des grandes banques qu'il fut auparavant. Même combat.
Genèse d'un repas, ce pourrait être un beau début pour une vie de Pompidou racontée par Alice."
" ...Les absurdités grotesques et les abus du système économique qui nous gouvernent sont examinées à la loupe, in vivo, scrutées avec insi
" ...Les absurdités grotesques et les abus du système économique qui nous gouvernent sont examinées à la loupe, in vivo, scrutées avec insistance jusqu'à devenir ubuesques.
Comment pourrais-je continuer à, manger tranquillement mes œufs, mes bananes et mon thon après ça ? Ce n'est pas Luc Moullet qui me le dira. Il est là pour déranger, pour perturber ma digestion et non pas pour me proposer les panacées que les têtes politiques savent tirer à point nommé de leur pharmacopée portative.
Et c'est précisément pour cette raison qu'on ne peut pas dire que Luc Moullet ait fait un film militant, récupérable par un système idéologique précis. Il dit les choses comme elles sont, comme il les sent et il va les voir sur place, rapportant des images qui finissent par avoir l'impact du constat bunuélien : la manière de Genèse d'un repas n'est pas éloignée de celle de Terre sans pain, documentaire non militant mais détonateur indéniable.
On a compris que le film de Luc Moullet est à voir, mais de préférence avant les repas. Il vaut mieux perdre l'appétit que subir les affres d'une digestion difficile."
" ...Le film glisse très vite à l'enquête sociale, puis au procès et au pamphlet. Le thon apparaît comme un aspect du néo-colonialisme ; les
" ...Le film glisse très vite à l'enquête sociale, puis au procès et au pamphlet. Le thon apparaît comme un aspect du néo-colonialisme ; les œufs sont une occasion d'exploiter aussi bien les travailleuses de la coopérative que les clients du marché à grande surface ; la banane met sur la piste des sociétés multinationales... De toutes parts sautent aux yeux les vices d'une société de consommation et de profit.
Le procès, cependant, reste supportable grâce à l'humour constant manifesté par l'auteur. Un humour souvent noir (sans mauvais jeu de mots lorsqu'il s'agit des Africains...) qui ressort des images elles-mêmes, apparemment neutres. Il faut rendre hommage à l'honnêteté de Luc Moullet qui s'intègre lui même, réalisateur de film, dans le cycle des profiteurs, et se remet en question... "
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