" (...) On pourrait presque affirmer, en forçant un peu le trait, qu’il y a une unité de lieu, de temps et d’action dans le présent narratif du film. Que l’on a quasiment affaire à un huis-clos. On est constamment à l’intérieur d’un wagon de train où se retrouvent quatre hommes et une femme d’âge moyen. Et pourtant on n’aperçoit pas vraiment de train, de l’extérieur – sauf vers la fin du film…
L’espace est relativement conventionnel et des bruits de chemins de fer sont toujours entendus hors-champ – la source du son appartient à l’espace diégétique, même si on ne la voit pas dans le champ – voire off – le off , ou hors-cadre, est l’espace virtuel de production du film et de constitution de son sens. L’intérieur du wagon est comme une scène de théâtre où va se dérouler un " happening " délirant qui épingle avec précision le système dans lequel vivent les protagonistes et qui s‘adresse parfois au spectateur – quelques regards-caméra, vers l’espace hors-cadre.
Cette séance va consister en une critique du régime communiste, en une auto-critique des personnages qui soutiennent paradoxalement ce régime, en une plongée – avec dérision ou sens du tragique – dans le passé douloureux de la Pologne, oublié ou méconnu. Hommes et femme prennent des comprimés contenant un sérum de vérité pour se forcer à dire ce qui est, ce qu’ils ont sur le coeur. Une manière amusante de montrer la chape de plomb du mensonge, du silence, de la mauvaise foi et de l’ignorance qui règne au sein de la société décrite dans le film. Finalement, les pilules s’avèreront être un placebo… Pas besoin, signifie ainsi Skolimowski, de s’oublier soi-même pour dire ce qui est et ce qu’il y a à dire. Tout peut et doit sortir facilement, sincèrement, consciemment… En tout cas en ce qui le concerne. Les pilules sont juste une fiction pour dire quelques vérités, comme le film (...).
On dirait que le cinéaste avait besoin de ce film pour justifier radicalement ce qui était son désir profond et qu’il avait déjà manifesté avec le film précédent. Réaliser un grand départ. Quitter la Pologne, s’exiler, tourner à l’étranger – comme il le fera effectivement. L’opération était risquée, elle a réussi !
Un film à ne pas rater, en tout état de cause. "
Enrique Seknadje