" Passé la première séquence du film, le spectateur dispose d’une certitude et d’une interrogation (…). La certitude est
qu’on vient d’assister au début d’une comédie musicale enjouée et coquine, ce qui, dans le paysage du cinéma contemporain, n’est pas banal. L’interrogation porte sur la capacité du film à tenir semblable pari. La deuxième séquence est elle aussi chantée, par Jacques Bonnafé à Virginie Ledoyen ; il lui parle de l'amour, et du sida. Là on se dit que ces Ducastel et Martineau, (…) poussent un peu loin le bouchon. Et en même temps on ne peut pas ne pas être saisi par l’émotion précise et simple qui émane de la scène, grâce à la justesse des mots employés, à l’attention avec laquelle les cadres et les distances sont choisies, les gestes mesurés - ou démesurés -, les couleurs, les décors, les éléments de costumes assemblés. Pour tenir,vaille que vaille, cette gageure d’une comédie musicale « sur » (comme on dit) le sida. Mais d'abord, et enfin, une splendide histoire d’amour.
Une histoire qui se construit en allant du simple au compliqué, du petit au grand, en commençant par les détails, pour toucher à l’amour, la mort, les garçons et les filles (…) en douceur, sans pathos ni prêche. (…) L’important, il est dans la confiance culottée que Ducastel et Martineau font au cinéma, dans l’audace de tenter les aventures d’images et de récit les plus improbables. Ils ne les réussissent pas toutes. Et alors ? (…) Les conventions de la comédie musicale passent remarquablement là où elles devraient paraître plus artificielles : dans les scènes intimistes. Grâce à une réalisation fluide et proche, qui accompagne le mouvement des corps, joue en souriant sur la distance aux mots, volontiers lestes, et met en place les voiles de la pudeur envers ce qui est difficile à regarder et à entendre : pas les corps, ni les paroles du désir, mais la douleur et la maladie, I’impuissance et la rage contre l’impuissance.
Le film n’a pas la force noire de Encore/Once More tourné par Paul Vecchiali, sa mise en scène n’en est pas moins affirmation de choix, politiques et artistiques. Jeanne et le Garçon formidable ne marche pas à la nostalgie du musical comme Tout le monde dit «I Love you», de Woody Allen ni n’en pervertit les codes comme On connaît la chanson, d’Alain Resnais. (…) Le murmure seul convient pour fredonner cette vérité (…) : ça vaut le coup de vivre."
Jean-Michel Frodon