" Comment ? De quoi ? Après Conte de printemps et Conte d’hiver, au lieu de s'attaquer au Conte d’été, voilà qu’Eric Rohmer fait la caméra buissonnière ? Eh oui ! Comme le fut Quatre Aventures de Reinette et Mirabelle au milieu des Comédies et proverbes, Les Rendez-vous de Paris est un intermède au milieu des Contes des quatre saisons. Une pochade. Un jeu. Un divertimento.
Piéton de Paris, comme chacun sait, Eric Rohmer nous entraîne dans les rues et les jardins pour nous conter trois histoires de rendez-vous manqués. « Il y a parfois des méprises, il y a souvent des surprises », chantent deux chanteurs de rue qui s'accompagnent à l’accordéon...
Le premier Rendez-vous — Le Rendez-vous de 7 heures — est un délice. Esther aime Horace. Elle rencontre Félix, qui, tel Iago, distille en elle le poison de la jalousie. Esther se confie à Hermione, qui lui conseille de rendre Horace jaloux. Draguée par un gentil garçon, elle lui donne rendez-vous à 7 heures dans le café où Horace, paraît-il, rencontre une autre fille. Mais on lui vole son portefeuille et Esther soupçonne le dragueur d’être un voleur. Aricie rapporte son portefeuille à Esther et lui dit avoir rendez-vous dans ce même café à 7 heures. Les deux filles s’y rendent ensemble...
Esther, Aricie, Horace, Hermione... Ces noms de tragédie ajoutent encore à la distance ironique que Rohmer maintient entre ses personnages et lui. Comme Renoir dans son Petit Théâtre..., il joue à la fois sur la distance et l’intérêt. Chassés-croisés, hasards, quiproquos : le destin — eh oui, comme dans les tragédies et les vaudevilles — s’amuse et mène le jeu. Mais le ton est celui, doux-amer, des levers de rideau de Musset.
Au plaisir que nous cause ce mélange ambigu s’en ajoute un autre, géographique celui-là. Où sommes-nous ? Ah, mais c’est la fac d’Assas. Et là ? Tiens, la rue Guynemer ! Et ce marché décoré pour le 14 Juillet ? Cest celui du boulevard Edgar-Quinet. Et voici le bistrot de Dame Tartine, à Beaubourg.
Les deux autres Rendez-vous sont un peu moins jubilatoires. Dans Les Bancs de Paris, la promenade du Luxembourg au parc Montsouris, du cimetière Saint-Vincent au parc de La Villette, du parc de Belleville aux jardins du Trocadéro semble un peu longue. Elle s’achève, néanmoins, sur un joli coup de théâtre, d’autant plus surprenant qu’il n’est fondé que sur l’algèbre paradoxale des sentiments.
Quant à Mère et enfant 1907 (c’est le titre d’un tableau de Picasso), il se passe presque tout entier dans le Marais — où se trouve, précisément, le musée Picasso. Le héros, un peintre, pousse juste une petite pointe à Montparnasse, à La Coupole. Comme les - deux autres sketches, celui-ci reprend —mais en en modifiant la fin — le schéma des Contes moraux : A s’intéresse à B, l’abandonne pour C, mais, au lieu de revenir à B, A se retrouve seul. Volontairement dans Le Rendez-vous de 7 heures et Les Bancs de Paris, ou involontairement ici.
Si Eric Rohmer avait placé un proverbe en tête de ce dernier Rendez-vous, ç’aurait pu être : « Il ne faut pas lâcher la proie pour l'ombre. » La proie, c’est une Suédoise qu’une amie a envoyée au peintre pour qu’il lui fasse visiter Paris. L’ombre, c’est une Suissesse que le peintre croise en quittant le musée Picasso, où il a laissé la Suédoise. Il la remarque, la suit et revient, dans son sillage, au musée...
Là aussi, la chute est jolie : abandonné par les deux femmes, le peintre reprend sa toile pour y ajouter du blanc. Or, ce n’est pas celle qu’il a cru, un instant, être la femme de sa vie qui lui a donné ce conseil, mais l’autre, qu’il méprisait. Sait-on jamais qui est important pour qui ?
Dommage que ce peintre beau parleur, qui n’arrête pas de s’écouter, de faire des cours, de pontifier, nous intéresse assez peu. Se jouer du ridicule et en jouer, le tenir dans un équilibre improbable et parfait, à la lisière du comique volontaire et involontaire, c’est du grand art. Mais nous ne sommes pas dans Pauline à la plage. N’est pas Arielle Dombasle qui veut. "
Page d'accueil
Catalogue
Nouveautés
KIDS
CONNEXION
