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Fang Xiuying est atteinte de la maladie d'Alzheimer. Après avoir été hospitalisée en 2015, elle a été renvoyée chez elle pour y mourir, entourée de sa famille.
Veuve depuis plusieurs années, Fang Xiuying, 68 ans, est née à Huzhou, dans la région du Fujian où elle travaillait comme ouvrière agricole. Elle a souffert les dernières années de sa vie de la maladie d’Alzheimer. Après avoir été hospitalisée en 2015, elle a été renvoyée chez elle pour y mourir, entourée de sa famille. Mais la mort est longue à venir… Récompensé par le Léopard d'or, lors du festival de Locarno en 2017.
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"Récompensé en 2017 par le Léopard d’or du Festival de Locarno, Madame Fang est sans doute l
"Récompensé en 2017 par le Léopard d’or du Festival de Locarno, Madame Fang est sans doute l’un des films les plus âpres et dérangeants du documentariste Wang Bing, chroniqueur intransigeant et insubordonné des avanies de la Chine contemporaine. On y suit l’agonie à domicile de Fang Xiuying, une dame de 68 ans, ancienne ouvrière agricole de la région du Fujian, à l’extrême sud-est du pays, atteinte de la maladie d’Alzheimer. Le film serait vite insupportable s’il ne s’en tenait qu’à cet événement limite de la mort au travail. Or, il en fait l’épicentre d’une réalité environnante qui s’étend de proche en proche, de l’attente piaffante de la famille à la vie ordinaire du voisinage. Un petit bout de rue et de monde suspendu, en quelque sorte, au dernier souffle de Madame Fang.
Ce personnage, qu’on n’entendra pas prononcer un seul mot de tout le film et qui restera donc définitivement opaque devant l’éternité, est présenté à la faveur d’une déflagration saisissante. Tout d’abord, une poignée d’images, datant de 2015, la découvrent mûre mais en pleine santé, les joues rondes, sur le seuil de sa demeure – traces d’un projet de portrait filmé qui n’aura jamais vu le jour. Tout à coup, la voilà allongée sur son lit de mort, à peine reconnaissable, car le visage fondu sous les progrès du dépérissement, sa bonne constitution comme aspirée dans l’espace d’un seul raccord. Madame Fang ne parle plus, ne peut plus ingérer la moindre nourriture, remue à peine, mais un point demeure brûlant au centre de l’image : son regard fixe, grand ouvert, énigmatique, auquel s’arrime la caméra de Wang Bing et qui, le temps du film, marque comme le centre du monde.
Autour de ce corps rachitique et silencieux – n’est-ce plus qu’un corps ? Est-il encore habité d’une conscience ? –, remue tout un groupe de parents venus assister aux derniers moments de l’aïeule, une ruche dont l’agitation et le bruissement requièrent tout autant l’attention du cinéaste. Frères, enfants, cousins, neveux de la grand-mère (seuls les petits-enfants font défaut) vont et viennent, jettent un regard, commentent son état, passent des coups de fil, lui prodiguent des soins sommaires, tandis que la télévision allumée crache quelque feuilleton dérisoire. L’agonie n’est entourée d’aucune prévenance ni précaution, dans ce milieu rustique où elle semble s’intégrer, en toute franchise, dans un ordre banal des choses. Non sans que l’émotion du deuil ne revienne par la bande s’emparer de tout ce petit monde dans les derniers instants.
On peut être évidemment gêné par l’insistance du cinéaste à filmer in extenso une pauvre créature humaine qui ne peut s’y opposer et ne l’a pas choisi ainsi – question qui pouvait également se poser face aux aliénés qu’il filmait dans l’hôpital psychiatrique d’A la folie (2013).
Se joue pourtant quelque chose de vertigineux dans le regard de Madame Fang, se refermant peu à peu sur une certaine mémoire tacite de la condition paysanne sous le communisme. Regard, peut-être, de la mort elle-même, qui voit au-delà des apparences, traverse l’écran pour scruter la conscience du spectateur. Revient alors, avec lui, l’illustre et imparable aphorisme de Nietzsche : « Quand ton regard pénètre longtemps au fond d’un abîme, l’abîme, lui aussi, pénètre en toi. »"
"Une femme seule chez elle, immobile, presque hagard. Puis ses derniers moments debout dans la rue, errante. Cut. Un an plus tard
"Une femme seule chez elle, immobile, presque hagard. Puis ses derniers moments debout dans la rue, errante. Cut. Un an plus tard, Madame Fang, née en 1948, ancienne paysanne d’une petite ville de la province du Zhejiang, est au seuil de la mort : la vieillesse et neuf ans d’Alzheimer l’ont définitivement immobilisée au lit. Sa lente agonie constitue le sujet du dernier documentaire du cinéaste chinois Wang Bing, lauréat du Léopard d’or au dernier festival de Locarno. Malgré son sujet extrêmement lourd, Madame Fang parvient à dépasser la morbidité de la situation pour révéler d’autres facettes de ces derniers instants : autour de Fang, on voit s’agiter la société chinoise populaire, prise entre ses traditions et les contradictions que lui impose la modernité ; mais au centre, c’est bien elle, et la résistance de la vie de cette femme que Wang Bing observe attentivement, soigneusement, respectueusement.
Exceptionnellement court (1h30) pour un documentariste habitué aux montages longs (À l’ouest des rails durait plus de 9 heures, À la folie près de 4 heures), Madame Fang ne procède pas moins d’un travail remarquable sur la durée. D’abord, parce qu’il mobilise un principe d’attente presque insoutenable, que l’on n’avait pas vu depuis La Mort de Louis XIV d’Albert Serra : le film s’étire autour de la lente agonie de cette femme et de l’attente de sa mort qui n’en finit pas d’arriver. Mais aussi parce sa composition induit un rapport au temps différent : construit par une alternance de plans larges fixes (de la chambre, des espaces alentours) et de plans rapprochés sur son visage, le film ne cesse de revenir sur le corps de la mourante et constitue en ce sens un long processus d’apprivoisement de la mort. Le visage de Madame Fang, crispé dans un sorte de masque mortuaire torturé, repousse et angoisse d’abord, avant d’être peu à peu accepté, domestiqué, démystifié.
La famille de la mourante, trop pauvre pour pouvoir lui offrir des soins, la regarde impuissante. La vieille dame se constitue en point central du film, autour duquel défilent la famille, les amis, les visiteurs anonymes, les commentaires… On interprète chacun de ses spasmes, la forme de son cou, la couleur de ses yeux. On prépare déjà les funérailles, on pêche des poissons, on fume sur le palier. Cette grande ronde, qui prête parfois à sourire, marque surtout parce qu’elle rappelle la solidarité familiale de la société chinoise, tout autant qu’elle illustre l’absence totale d’aide extérieure de l’État. Pourtant, on remarque la négligence d’un petit-fils : « on meurt mieux entouré », entend-on, « c’est la présence des petits-enfants qui compte ». La veillée finale manque presque de provoquer un effet comique, par l’incongruité des commentaires entendus, la placidité de la famille, mais aussi ce principe d’accumulation qui se produit sous nos yeux : nuit après nuit, Madame Fang refuse de mourir, provoquant chaque soir la même réunion burlesque d’une dizaine de personnes dont l’entassement dans la minuscule chambre évoquerait presque celui de la cabine de bateau des frères Marx dans Une nuit à l’Opéra. Mais, l’ultime instant enfin arrivé, la sérénité d’un paysage lacustre qui a vu vivre la famille de pêcheurs de Madame Fang salue, le temps d’un long plan, la belle fin de la paysanne."
"Octobre 2015, à Maihui, dans la province du Zhejiang, dans le sud-est de la Chine. Une femme se tient face à la ca
"Octobre 2015, à Maihui, dans la province du Zhejiang, dans le sud-est de la Chine. Une femme se tient face à la caméra d’un grand cinéaste. Elle s’appelle Fang Xiuying. Elle a 68 ans, l’air poupin, des vêtements élégants, elle porte bien. Son regard pourtant exprime une inquiétude qui diffère de celle qu’on décèle sur le visage des quidams filmés pour la première fois et spontanément intimidés - on est tous comme ça- par l’œil de la caméra. Elle fuit cette dernière, se retourne, fixe la porte sombre derrière elle. Puis on la voit s’avancer en extérieur, au bord de l’eau, qui se parle doucement à elle-même, l’air confus. Cette séquence d’introduction, très courte, est un témoignage de celle qu’elle était avant de l’oublier tout à fait, avant qu’un Alzheimer la précipite pour de bon dans la démence. En juin 2016, quand débute le nouveau documentaire de Wang Bing (en attendant la sortie en octobre des Ames mortes, film-fleuve de huit heures sur les camps de rééducation chinois, présenté hors compétition en mai à Cannes), Mme Fang n’est plus la même. Visage émacié, dents qui fuient en avant, on la reconnaît à peine. On distingue son crâne plus que son visage, et on comprend qu’elle est mourante. On devine aussi que ce film - étonnamment court pour l’auteur de la fresque A l’ouest des rails (quatre-vingt-six minutes, presque un court métrage pour lui - envisage de faire de l’évanouissement de cette femme son insensé sujet, bien plus que la réalité sociale dans laquelle elle survient.
Ainsi va la mort de Fang Xiuying, qui souffre sans doute, mais on ne le saura jamais, de rester couchée, de ne plus pouvoir parler. Elle a des escarres, qui racontent en creux les longs mois de dérive que le film ne nous montre pas - ceux passés à l’hôpital qui ont suivi le préambule, avant qu’on la renvoie chez elle, pour s’évanouir entourée des siens. Les siens, justement, sont ceux qu’on entend, puisqu’elle a perdu la capacité à s’exprimer. Ils parlent à sa place de ses douleurs, de ses habits mortuaires, de l’endroit où on l’enterrera «si le feng shui est bon». Ils sont la vie qui continue autour, jusqu’à douze ou treize adultes bien portants, amis, famille proche, voisins, qui bruissent dans l’appartement modeste où Fang Xiuying va bientôt cesser d’exister. Ils parlent, conjecturent sur son cas, boivent, pêchent, s’engueulent sur l’absence des petits enfants («On meurt mieux entouré !»), disent que ça va. Mais on l’a vue avant, on la voit maintenant dans un coin de l’écran, et on sait que ça ne va pas. Que ça ne va plus, que ça n’ira plus jamais.
A partir de là, Wang Bing ne s’intéresse plus qu’à une chose, au seuil, et aux deux mondes qu’il sépare, l’endroit où l’on est et le néant où l’on n’est plus, qui se tiendront toujours distincts, inconnus l’un à l’autre, pour l’éternité. Le gouffre est infranchissable, en tout cas, entre ceux qui attendent et celle qui est en train de partir. «Si vous la voyez bouger, vous pouvez être rassurés», dit l’un de ses fils. Rassuré, mais de quoi ? aimerait-on lui demander, de notre côté de l’écran. De sa propre survie et continuité ici, soit tout et presque rien. Quand Mme Fang sera complètement inerte, elle sera un miroir du pire, un trou noir. En attendant, sa mort en cours est triviale, parce qu’on s’agite et s’écharpe autour, parce qu’elle s’affiche «vivante» avec un pouls qu’on peut tâter et des gestes, même s’ils sont impossibles à déchiffrer : une main qui s’approche du cuir chevelu, hésitante, avant d’abdiquer quelque chose, une autre qui se tend comme une supplique, ou en tâtonnant, que Zhen Xiaoying, fille aimante - on la verra pleurer, quelquefois - attrape et enserre par affection ou folie douce, parce que derrière le visage d’une mère, il est trop douloureux d’admettre qu’il n’y a plus rien de celle qu’on a aimée.
Tant qu’on lui parle, qu’on peut la redresser, et qu’elle ne répond pas, Fang Xiuying est donc vivante pour quelqu’un. Mais déjà plus tout à fait pour Wang Bing, qui filme l’espace impensable entre le monde des vivants et celui au-delà, dans lequel il engouffre notre regard. C’est la plus vieille histoire du monde, son plus vieux mystère. Poe a écrit dessus de la plus audacieuse des manières en 1845 dans la Vérité sur le cas de M. Valdemar, nouvelle dans laquelle un mourant sous hypnose parle - ou ne parle pas - depuis l’au-delà. Proust également, dans le Côté de Guermantes, où le narrateur contait en long et en large l’évanouissement de sa grand-mère en des mots vertigineux et bouleversants dont beaucoup siéraient aux images qu’on voit ici, tels ces plans incommensurables où Mme Fang porte son regard vers un ailleurs invisible, droit devant ou autour de son monde réduit à ras de couette ornés de motifs hideux (des crayons de toutes les couleurs), qui existe ou n’existe pas. Ses enfants ont beau discuter de la «vivacité» dans son regard, dont la lueur augmenterait ou diminuerait selon l’étape où elle se situe dans son voyage, on sait qu’on ne saura jamais ce qu’elle y voit ou pas.
«Personne ne peut plus rien», alors Wang Bing, qui est un cinéaste excessivement curieux, se faufile pour filmer l’infilmable à travers ses yeux, et la regarde regarder, en des plans fixes dont les durées prennent une valeur toute particulière puisque chaque seconde qui passe repose la question : l’instant fatidique va-t-il arriver devant nous, pour de bon, pour de vrai ? A cet endroit, le film est, fatalement, difficilement soutenable. Pendu au visage de la mourante, ils rappellent que la mort, «ça peut être très rapide ou très lent», et le paradoxe de l’espoir, qui prolonge la vie, mais aussi l’agonie. On respire pendant les plans de coupe, tels ceux des proches qui fument à l’embrasure de la porte, leur propre regard embué d’interrogations. Wang Bing cherche-t-il, en filmant les occupations presque burlesques autour du corps, à nous souligner l’intense solitude de la femme à l’heure où elle commence à glisser vers la mort ? Il est vrai que la vie qu’il filme dans l’appartement ou au dehors, dans le village battu par la pluie, paraît terriblement triviale en comparaison, telle cette pêche au poisson à tête de serpent dans les roseaux qui finit en engueulade sur le bitume autour de sa préparation. Mais nullement moral dans son regard oblique, il nous rappelle qu’il faut un vestibule et un perron pour faire un seuil. Que chacun de nos gestes, chacune de nos paroles proférées à proximité de cette béance joue la plus cruciale des tragédies, dans laquelle il est écrit que nous avons déjà disparu. Qu’une fois l’impossible survenu, la seule manière de le montrer est d’exposer son contrechamp, où la vie continue et les proches ont déjà commencé à pleurer."
"Récompensé par le Léopard d’or lors du dernier festival de Locarno, Madame Fang est une nouvelle
"Récompensé par le Léopard d’or lors du dernier festival de Locarno, Madame Fang est une nouvelle pierre de l’édifice que construit patiemment Wang Bing depuis son apparition dans le paysage cinématographique mondial il y a quinze ans avec A l’ouest des rails, son premier film, magistral. Madame Fang, dans cette filmographie imposante sur l’histoire de la Chine contemporaine (A l’ouest des rails durait 9 heures et le dernier film de Wang, Les Ames mortes, vu à Cannes, plus de 8 heures), avec même pas 1 heure et demie, fait figure de petite pierre. Mais certaines petites pierres sont importantes, comme les clés de voûte, au hasard."
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