" Sous son air faussement candide, à l’image de la chevelure foisonnante du personnage principal (Davide), tout juste âgé de quatorze ans, la première réalisation de Sebastiano Riso affiche dès la séquence d’ouverture les stigmates de sa singularité filmique ; dans un sanctuaire-grenier adolescent, Davide superpose son visage dans un " moule " dessiné sur un vieux miroir. Le fil narratif est dès lors instauré : il s’agit d’explorer l’écart entre soi et la représentation fantasmée, comme pour mieux ramener le médium cinématographique à une quête de trans-figuration, de manipulation de la norme et des attributs.
Car l’enjeu pour Davide est bien le maintien d’un instinct de survie -peu importe la sphère concernée- face à une entreprise de dépersonnalisation, qu’elle provienne en interne des manigances d’un père ou de l’extérieur, propre à la vie de trottoir à laquelle il s’expose. En quittant le foyer familial, afin d’échapper à la persécution violente de son père et malgré l’amour de sa mère aveugle, Davide explore les facettes de représentation de sa propre différence, et permet au film d’y affirmer sa propre liberté créatrice. Le cinéma porno dans lequel Davide rencontre son mentor et Pygmalion devient alors l’initiateur d’un jeu hybride, d’un basculement entre la projection fantasmée de soi et un principe de réalité, qui ramène le jeune garçon à la nécessité de devenir l’acteur de sa sexualité et de sa trajectoire personnelle. Situant l’intrigue dans un univers sombre, celui des Faubourgs populaires, le film devient pasolinien dans son attachement aux classes désœuvrées et à une peinture sociale, offrant à ces personnages une certaine densité poétique.
S’il constitue une fuite en avant, l’exil de Davide précipite le film dans la revendication d’un principe de dualité, entre les tentatives de construction et l’incapacité à se dérober de certains éléments du passé. Cette tension désarticule la chronologie du film, entre flash-backs et retours au présent, comme pour mieux exposer les fêlures d’une cellule familiale asphyxiante. Ce choix chronologique permet à Sebastiano Riso de déployer un filmage tout aussi ambivalent, emprunt de théâtralité, davantage visible dans la direction des acteurs que dans la revendication d’une quelconque unité théâtrale. Privilégiant les plans-séquences, Mezzanotte impressionne également par la constante fluidité des mouvements, de la caméra et des acteurs, permettant notamment d’organiser un élégant ballet des corps au moment où un travelling arrière, lancinant et envoûtant, introduit Davide à tous les prostitués notoires de la villa.
Cette forme hybride ramène non seulement le film à sa propre singularité cinématographique, mais invoque également l’ombre de ses possibles référents, L’Homme blessé de Patrice Chéreau en tête. Pour Henri et Davide, la prostitution devient en effet le terrain de chasse de l’être aimé et l’illusoire promesse d’un bonheur dans la plus grande marginalité. S’ils courent en permanence, c’est que les deux jeunes garçons poursuivent la réitération de la rencontre amoureuse, parcourant la gare pour l’un et le parc pour l’autre comme un théâtre à part entière. Tant que l’important est d’assouvir autant le désir de voir que celui d’être vu. "
Ferhat Abbas
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Mezzanotte