" Les îles au large de la Nouvelle-Angleterre sont des pages blanches pour les cinéastes, mondes clos où faire régner leur seul imaginaire. Récemment, Roman Polanski y a projeté sa parano diffuse (The Ghost Writer) et Martin Scorsese, sa parano massive (Shutter Island). Avec Wes Anderson, changement complet de fantasmagorie. L'auteur de La Vie aquatique fait de l'une de ces îles, reconfigurée par ses soins, le sanctuaire sublime d'un premier amour.
Entre idéalisme et dérision, son cinéma a quelque chose d'insulaire depuis toujours. Chacun de ses films est une bulle défiant la réalité, même quand il s'agit de traverser l'Inde A bord du Darjeeling Limited. Il va, cette fois, au bout de son autarcie : non seulement il ignore le continent, mais il invoque le paradis forcément perdu d'une Amérique encore innocente, guindée et prospère — celle des sixties. Et si tous ses héros adultes se comportaient, jusqu'à présent, comme des mômes inconsolables, Moonrise Kingdom met pour la première fois au centre des enfants — comme souvent à 12 ans, la fille (jouée par une débutante prodigieuse, Kara Hayward) a tout d'une lolita, et le garçon, rien encore d'un homme.
La miniaturisation du monde, grande affaire du cinéaste (il voit des maisons de poupée partout...), n'a donc jamais paru aussi naturelle. De même l'émouvante orgie d'accessoires pop, de panoplies vintage. Quand les deux amoureux — lui, un scout orphelin mal aimé et elle, une fille de bourgeois « perturbée » —, fuguent un jour de l'été 1965, quand ils se croient à l'abri d'une petite crique sauvage, ils déballent tout un bric-à-brac, qui va des boîtes (pré-warholiennes) pour le chat de la jeune fille — également de l'escapade — au 45 tours de Françoise Hardy Le Temps de l'amour.
Fuir la tristesse et l'ennui des adultes, partir à la poursuite du tête-à-tête magique, sur fond de météo menaçante : comme conteur, Wes Anderson ne cesse de s'affûter — la maîtrise du récit était déjà le point fort de Fantastic Mr Fox. A travers le branle-bas de combat déclenché sur l'île par la disparition des deux préados, il parvient à faire exister toute une flopée de personnages tragi-comiques, joués, profil bas, par des stars. Le chef scout (Edward Norton) dévoré de culpabilité. Les parents de la fugueuse, las d'eux-mêmes et de leur couple (Bill Murray, Frances McDormand). Le flic (Bruce Willis), amant sans espoir de la mère... Sans oublier la représentante de l'action sociale (Tilda Swinton), venue de la terre ferme, prompte à prescrire des électrochocs au moindre faux pas juvénile.
Lorsque les éléments se déchaînent, Moonrise Kingdom devient quasiment haletant, entre cartoon et film catastrophe. Or cette efficacité, nouvelle chez Wes Anderson, n'enlève rien à son art du micro-drame, du déchirement en sourdine. La crique des fugueurs est rayée de la carte par la tempête ? Le fait est signalé en passant. Un simple effet collatéral, sans grande importance, et d'autant plus bouleversant : comme une preuve de bonheur effacée. Déjà en passe de ressembler aux adultes honnis, les deux fiancés rebelles sont désormais condamnés au souvenir. Face au tableau représentant le paysage englouti, peint par le petit scout assagi, on a l'impression d'assister à l'invention de la nostalgie."
Louis Guichard
Ce n'est pas le bon film!!! Comment procédons nous pour que vous me remboursiez??