" Troisième long-métrage de fiction du précoce et très prolixe Philippin, Now Showing est le premier volet d'une trilogie en cours. Dans ses précédents films, A Short Film About the Indio Nacional (2005), Autohystoria (2007), Raya Martin faisait le pari de ressusciter l'Histoire de son pays, notamment sa période de lutte d'indépendance contre le colon espagnol. Mais au lieu de s'abîmer dans la stricte reconstitution historique, il avait alors choisi de faire dialoguer des épisodes de l'épopée nationale avec des images contemporaines, où de jeunes gens d'aujourd'hui évoquaient les héros d'hier.
Now Showing aussi est au présent, c'est Manille aujourd'hui qui en est le décor, mais le film délaisse ce rapport au grand récit. Il se présente presque sous les allures d'un documentaire domestique qui nous invite à suivre Rita, une jeune gamine (...)
Projet d'un cinéma-vérité alimenté des longues insistances du plan séquence ? Si ce goût évident d'un déroulement ininterrompu n'est pas neuf chez Raya Martin, ce n'est pas en direction d'un illusionnisme vériste. Déversé patiemment et sans coupe, ce temps lui permet, plutôt que de prétendre faire copie plate, d'étirer le réel. De l'étirer jusqu'à le détacher : lui offrir une dimension insulaire (une île lointaine et comme égarée dans le temps était déjà le titre et l'objet de son tout premier long, un documentaire). L'enfance comme une île perdue, c'était aussi le tact et la distance commandés par la loi du souvenir qu'on pouvait trouver dans l'Eustache de Mes Petites Amoureuses ou le Pialat de L'Enfance Nue.
Cette filiation naturaliste est toutefois modifiée ici. S'y greffe un étrange onirisme qui fait basculer la sécheresse de l'observation dans un monde flottant. Car, le titre le souligne par avance, chaque scène est hantée, creusée par un double, plus vaste que la maigre description de la vie. Cette puissance de hantise, c'est la représentation, c'est le cinéma. Du nom de la jeune fille, Rita, donné par sa mère en hommage à une actrice américaine, à l'évocation des étoiles du cours d'astronomie en passant par les scènes nocturnes ou le long extrait d'un mélodrame muet d'avant-guerre ou le magasin de DVDs, c'est une mythologie des images qui s'impose en permanence comme le filtre, discret mais tenace, à chaque temps de l'existence.
Film aux accents autobiographiques, Now Showing joue d'une mélancolie qui n'est pas celle seulement de l'évocation d'un paradis perdu. Est su, ici, que ce paradis de l'enfance était déjà l'imitation d'un univers de fantômes. Et c'est à leur rencontre qu'on peut imaginer Rita se rendre à la fin. "
Jean-Pierre Rehm