"Il est palestinien et coursier. Elle est bistrotière et juive. Ils sont mariés, mais pas ensemble. Entre eux, il y a une frontière, un monde, mais aussi une attraction fatale. Pendant ses livraisons, Saleem fait le Kama-sutra avec Sarah, dans la camionnette où sont entreposés les brioches, les croissants et le pain azyme. C’est donc juste un petit adultère banal, un quickie derrière le mur des Lamentations, rien de plus. Mais voilà, nous sommes au pays des chimères, des complications, des raisonnements byzantins. Ce n’est donc pas une love story, c’est une affaire d’état(s). On est dans un puzzle absurde : les trafiquants du marché noir s’en mêlent, les activistes arabes aussi, les services de sécurité israéliens soupçonnent une machination, le mari de Sarah est colonel, et plus Saleem se justifie, plus il s’enfonce.
Entre Jérusalem-Est, où il vit, et Jérusalem-Ouest, où il travaille, entre sa femme enceinte et sa famille pénible, Saleem tente de survivre. Mais il est d’abord accusé de faire passer des putes sur la rive droite, puis est contraint de signer un document assurant que Sarah n’est pas une couche-toi-là, mais qu’elle est une « source » valable pour des renseignements, qu’elle ne possède pas. L’après-midi du faune palestinien devient une saga enflammée par une bureaucratie folle. C’est « Roméo et Juliette » version baklava. Compliqué ? Bien sûr. Déjà, le film est une coproduction palestinienne-mexicaine-néerlandaise--allemande. Le réalisateur, Muayad Alayan, a été formé à San Francisco, est établi à Bethléem et, incontestablement, sait capter avec finesse la fracture de classe, de culture, d’origine, qui zèbre le Moyen-Orient.
Le scénario, écrit par le frère du réalisateur, Rami Alayan, dit, en sous-main, toute la tragédie de cette terre mille fois bénie, mille fois maudite. Quand les amants filent à Bethléem, ils sont sur une autre planète, loin des feux de la guerre. Mais Saleem est un intrus en Israël, et Sarah est malvenue en Palestine. Muayad Alayan observe ces corps qui s’enlacent, ces cassures ethniques, ces haines religieuses. L’interdit nourrit la passion, et même les positions du petit pont ou de l’étreinte du panda sont politiques, là-bas. Tout a commencé par un baiser, tout se termine en foutoir et c’est absolument captivant. Dans cette histoire, l’Orient n’a rien de moyen. Il est l’empire de la passion."
François Forestier