Il y a, dans le dernier film de François Reichenbach, des richesses évidentes, péremptoires et qui sont livrées à l'état brut, avec leur gangue et leurs scories. L'œuvre est captivante de bout en bout, même si, à la réflexion, on se surprend àcontester le principe de certaines séquences.
Tout d'abord, nous trouvons les méthodes directes du cinéma-vérité : un magnétophone et une caméra se font tout petits afin de capter des images et des sons naturels, sans que les sujets du reportage soient toujours conscients d'être vus et écoutés. On ne saura jamais très bien où finit l'authenticité et où commence l'artifice. Mais, après tout, qu'importe ? Le résultat est là sous forme de monologue. Un boxeur noir, Abdoulaye Foye, commente à haute voix sa jeune expérience, ses impressions de Parisien novice, ses rencontres, ses préoccupations professionnelles ou sentimentales et jusqu'à ses options métaphysiques. Tout cela sur le ton candide de la confidence intérieure. Abdoulaye est dépourvu de complexes. Il se livre sans malice et sans défense aux appareils enregistreurs qui le troquent : il répond spontanément aux interlocuteurs qui le provoquent.
Un Cœur gros comme ça aurait pu s'intituler Moi, un noir et l'influence du film de Jean Rouch est indéniable. Dans l'un et l'autre cas, la vedette du film est un jeune homme de couleur qui parle en son propre nom et sollicité par un cinéaste blanc. La différence réside dans la méthode de tournage. Alors que le héros de Rouch réagissait par un commentaire improvisé sur des images préalablement tournées, celui de Reichenbach semble, au corsaire, avoir parlé pendant les prises de vues et parfois même avant. Ce qui a permis au cinéaste de composer des scènes purement descriptives, en illustration d'un texte déjà existant. D'où ces envolées poétiques sur le paysage parisien. D'où également la sensation, pas forcément gênante, que nous nous trouvons en face d'une œuvre travaillée. Cela revient à dire que le document humain ou social ne représente pas le but final de l'entreprise, mais un matériau à partir, duquel le cinéaste construit une œuvre personnelle.
Gilbert Salachas, 09/12/1962