" (...) Tous les films de Romain Goupil depuis Mourir à 30 ans sont travaillés par ce tissage des fils de la vie et ce métissage des genres. Si Une pure coïncidence, léger, complexe, aventureux, est un des plus réussis à cet égard, le film le doit dans une grande mesure à l’utilisation particulière de la petite caméra numérique. Celle-ci est non seulement un instrument utilisé à de multiples reprises par les personnages du film, mais un personnage à part entière. Acquise pour enregistrer des événements privés, la caméra DV n’en finit pas de changer de statut, et d’influer sur le déroulement de faction. (...)
La force de la DV est de mélanger ces situations hétérogènes, produisant ainsi la " matière ", narrative et visuelle, du film. Décalant brusquement l’incertitude entre reportage et fiction sur laquelle fonctionne Une pure coïncidence, la petite caméra peut aussi jouer un rôle esthétique alors même qu’elle est employée comme " pur " témoin, au cours de la séquence muette de l’attaque. Plus important encore, son utilisation est au cœur du processus d’élaboration du film. Il y a bien eu un scénario, ne serait-ce que pour la recherche de financement. Mais, en accord avec sa productrice, Margaret Menegoz, Romain Goupil s’en est servi comme d’un point de départ pour explorer avec sa DV des pistes divergentes.
Il a filmé sa famille, ses amis, des meetings politiques, monté des petits sketches sans lien évident entre eux, laissé se produire des accidents, sauté sur des occasions qu’un tournage ordinaire n’aurait pas permis de saisir, etc. Ainsi, durant des mois, un petit groupe ne ressemblant en rien à une équipe de tournage a écumé les rues de Paris, au point de se faire interpeller par des policiers les soupçonnant de préparer discrètement une attaque de banque. Avec la liberté, l'impunité même, qu’offrent la légèreté, la discrétion et le faible coût d’utilisation de la DV, Goupil a joué avec ses enfants et ses proches à un étrange jeu de " vérités et mensonges ". Il en est résulté des dizaines d’heures d’images et de sons. (...)
C’est au sein de cette masse qu’il a ensuite construit l’assemblage singulier qui s’intitule aujourd’hui Une pure coïncidence. Il s’agit incontestablement d’un bon film de cinéma. Mais la genèse de ce film l’apparente aussi à tout un développement des arts plastiques contemporains, où la notion d’œuvre comme totalité finie est mise en crise. Elle renvoie aux potentialités ouvertes par les nouvelles technologies, dont fait partie la caméra DV dès lors qu’on ne l’utilise pas seulement comme une petite caméra à pellicule, mais comme un objet différent. (...)
Jean-Michel Frodon
