... Il faut trois heures et dix minutes d’amertume à Kôji Wakamatsu pour raconter douze ans de contestation au Japon, une parenthèse ou presque qui va des premières grandes manifs estudiantines de juin 1960 contre le Traité de sécurité nippo-américain jusqu’à l’épisode sanglant du chalet d’Asama, en février 1972, où l’on vit les cinq derniers membres de la folle United Red Army enterrer pour longtemps dans leur propre échec toute possibilité de révolte au Japon. Trois heures (vives, brutes) qui ont maturé trente-cinq ans dans l’esprit du plus sauvage, du plus ecchymosé des cinéastes japonais (...)
Le film de Wakamatsu, ex-sympathisant, porte en lui quelque chose d’inédit, cette distinction que l’on rencontre rarement dans les films qui touchent à ce genre d’aventure politique radicale : la lucidité. Il ne se voile pas la face. Il ne se désengage pas non plus. Il remonte le fil de l’histoire pour comprendre le cheminement qui vit cette révolte porteuse d’espoir devenir un problème.
Et puis comment ce problème a pris de lui-même la forme d’une horreur. Et comment cette horreur (un massacre à hauteur de cellule ?) s’est refermée sur l’extrême gauche nippone comme un tombeau. Un tombeau que nul n’osait encore rouvrir, tant il empeste ; odeur suffocante de folie furieuse, de pulsion de mort, d’asphyxie, d’impossibilité de se révolutionner et son corollaire : la condamnation de toute liberté individuelle.
Ses réponses, il ne les cherche guère du côté de la piste politique (c’est le grand paradoxe de ce film : on y entend moins de discours militant que dans les films pornos que Wakamatsu signait dans les années 60) et se garde bien de s’aventurer sur le terrain glissant de l’explication psychologisante. Non, la réponse à cette question lourde, qu’il ose à peine formuler, est cachée dans la mise en scène : dès la première heure, incroyable de compression, Wakamatsu oppose images d’archives et images de fiction.
Celles-ci montrent des jeunes gens qui, légitimement, voient rouge, la constitution d’un groupe, d’un cercle. Tout petit, étouffant, déjà. Sans fenêtre sur le réel. Les revendications sont justes, mais il y a comme un début de gêne à les voir parler du monde, sinon en lieu et place du monde, quand jamais leur armée mexicaine n’est raccordée avec autre chose que sa propre cellule.
Le mal est là, si tôt. United Red Army est ce film uni/désuni qu’aucun cinéaste japonais autre que Wakamatsu n’aurait pu faire. Son histoire, pas facile. Une leçon. N’ayez pas peur."
Philippe Azoury