Né en 1945 à La Bassée, dans le Nord (où se situent nombre de ses premiers films), René Féret est tenté d'abord par le théâtre. Il rejoint à 17 ans l'Ecole d'Art Dramatique de Strasbourg, devient acteur pendant plusieurs années avant de réaliser un premier long-métrage qui rend compte du séjour qu'il effectua en asile psychiatrique à la suite d'une dépression et d'une tentative de suicide. Histoire de Paul remporte alors le Prix Jean Vigo 1975 et rencontre l'enthousiasme de la critique et particulièrement de Michel Foucault.
Le film révèle un auteur qui va suivre dès lors un chemin très personnel. Ses oeuvres ont un ton naturaliste qui les éloigne des standards du cinéma traditionnel : à la surenchère (dans le budget, le casting ou le scénario), Féret reste fidèle, quel que soit son sujet, à une modestie de mise en oeuvre.
C'est l'impression générale que laissera le film qui importe, pas nécessairement la séduction ou l'impact immédiat. D'où une sensation, sur certains films, d'hétéogénité lorsque, par exemple, des acteurs amateurs cohabitent avec des acteurs chevronnés, notamment issus du théâtre, alors que le souvenir qu'il reste ensuite de l'ensemble est d'une profonde cohérence. C'est qu'au-delà de l'apparence du film, ce qu'atteint René Féret, c'est à chaque fois le coeur de son sujet. On pourrait tout aussi bien dire le "nerf". Par un ironique effet de balancement, ses films n'ont pourtant rien de nerveux et offrent plutôt le visage calme d'une solide tranquillité... mais avant l'orage.
Car Féret s'aventure vers des sujets âpres (la mort d'un enfant —dans Baptême —, la vieillesse —dans Rue du retrait—,la souffrance d'un hermaphrodite au XIXeme siècle —dans Mystère Alexina—, l'inceste — Madame Solario — etc). Mais il ne détourne jamais son regard : sa mise en scène est une observation minutieuse du quotidien dévoilant, sans en avoir l'air, les mondes secrets, les tourments et les exaltations des personnages. La discrétion comme la froideur de son style sans effets imposent la distance qui, bridant le sentimentalisme, laisse alors affleurer une très grande sensibilité.
Son cadre priivilégié, c'est celui de la famille. C'est ainsi qu'après l'expérience du récit autobiographique d'Histoire de Paul, Féret met en place un vaste deuxième long-métrage où se croisent les destins de plusieurs générations au cours d'un seul repas (La Communion solennelle, selectionné au festival de Cannes 1977). Ce tableau impressionniste ancre le cinéma de Féret une fois pour toutes : au croisement de l'introspection et des préoccupations sociales.
Tous ses films reflètent un état du monde, même dans les portraits serrés sur un ou deux personnages — Il a suffi que maman s'en aille où Jean-François Stévenin est maître-d'oeuvre de chantier, celui de Nannerl, la soeur de Mozart où la carrière artistique étouffée d'une jeune-fille résonne avec le siècle comme celui des deux voisines de la Rue du retrait, vraie rue parisienne dont l'appellation même semble commenter la crise d'un pays et des individus dans les villes en prônant une singularité, fondée là sur l'humain.
En 1987, à la question posée par Libération à 700 cinéastes, "Pourquoi filmez-vous ?", René Féret répondait par le biais d'une intimité dévoilée, seul fil rouge d'une oeuvre patiemment construite au fil du temps en marge du système habituel des financements du cinéma — le réalisateur écrit, produit, réalise, distribue ses films, entouré d'une équipe où figurent désormais plusieurs membres de sa propre famille :
" Je filme surtout pour recréer, pour rendre la vie à ce qui a disparu, écrivait-il.
Je pense à mes films autobiographiques d'abord : dans La Communion solennelle, j'ai fait revivre mes ancêtres.
Dans Baptême, mon prochain film, je redonnerai vie à mon père mort il y a vingt ans et à un frère disparu avant ma naissance et dont je porte le nom. Ce frère est j'en suis sûr aujourd'hui, à l'origine de mon rapport au cinéma. Sa photo inanimée, en noir et blanc, était posée sur le piano dans l'ombre de la salle à manger de mon enfance. Il avait quatre ans, il souriait et je portais son nom. Il fallait que je donne du mouvement à cette image fixe.
C'est seulement aujourd'hui, à quarante ans, que je m'attache à "traiter" cette image (...)
Filmer, pour moi, c'est refaire, revivre, recréer, regarder, faire voir. Entre ces films autobiographiques, je m'exerce â ces "résurrections" avec d'autres sujets : des romans, des nouvelles ou des faits historiques. Ainsi, j'ai redonné vie à Alexina, hermaphrodite, qui a vécu au XlXe siècle et qui s'est suicidé à vingt ans dans l'indifférence générale. Aujourd'hui, grâce à moi, il parcourt le monde comme un fantôme réincarné, aux Etats-Unis, en Belgique, en Argentine, en Algérie, partout, il revit son histoire, réveillant la conscience des spectateurs..."
Le cinéaste, malade, disparaitle 28 avril 2015, quelques semaines après la sortie de son ultime film Anton Tchekhov 1890.
Philippe Piazzo