Werner Herzog : "Fitzcarraldo transforme le désordre en victoire"
Le cinéaste allemand répond aux questions de la presse internationale après la projection en compétition officiell1
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Fitzcarraldo, rêve de construire le plus grand opéra du monde à Iquitos, au cœur de l’Amazonie. Pour ce faire, il acquiert une concession de caoutchouc.
Brian Sweene Fitzgerald, plus connu sous le nom de Fitzcarraldo, rêve de construire le plus grand opéra du monde à Iquitos, au cœur de l’Amazonie. Pour gagner l’argent nécessaire à son projet, il achète une concession de caoutchouc le long du fleuve Uycali, réputé inaccessible à cause de violents rapides. Pour atteindre sa concession, Fitzcarraldo choisit de descendre le fleuve Pachitea, séparé de l’Uycali seulement par une montagne. Il devra hisser son bateau à vapeur en haut de la montagne pour basculer sur l’autre versant. Sa tentative finit par échouer et Fitzcarraldo transforme son navire en théâtre en accueillant chanteurs et musiciens pour un spectacle unique au cœur de la forêt amazonienne. Prix de la mise en scène au Festival de Cannes en 1982.
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" (...) Le film s’ouvre en mineur sur l’image d’un Fitzcarraldo — Kinski, hirsute, fiévreux, à b
" (...) Le film s’ouvre en mineur sur l’image d’un Fitzcarraldo — Kinski, hirsute, fiévreux, à bout de force — ramant en barque vers Manaos : la totalité du motif est ainsi donnée d’emblée ; le glissement de la barque, le couple Kinski-Cardinale, l’effort démesuré, la victoire de la passion, l’extase devant l’opéra, un Hernani de carton, avec ténor bedonnant, dans la salle baroque de Manaos (séquence ordonnée par Schröter, toujours inspiré pour rendre compte d’un effet d’opéra). Fitzcarraldo fait irruption à Manaos, sans billet et en cours de représentation parce que son désir n’est pas résistible et que le laquais indien chargé d’écarter les miséreux cède tout d’un coup à son propre désir.
Du premier échec du héros, dont le projet fait rigoler le monde philistin des bailleurs de fonds nouveaux riches, naît une idée réaliste et folle à la fois ; Fitzcarraldo en examinant une carte découvre une plantation d’hévéas bon marché parce que réputée inexploitable ; il suffit pour l’exploiter de remonter un fleuve, de hisser le bateau sur une montagne et d’accéder à la plantation en amont des rapides qui en interdisent l’accès par un autre fleuve (...).
La beauté de cette première partie jusqu’à la catastrophe qui brise le bateau dans les rapides est qu’elle allie quelque chose de physique et réaliste : craquements, fracas, gerbes d’eau, barricades de troncs et de feuillages ; et une dimension mythologique : la forêt prend possession de l’eau qui est la route ; on peut penser aux pratiques tibétaines où l’obstruction de l’espace se résout en mouvement vers le haut. Comme dans les épreuves, les images de peur se dissolvent et se transforment en figures bénéfiques forêt et Jivaros deviennent les alliés muets de Fitzcarraldo, le peuple des Indiens maîtres du bois et du feu font glisser le bateau vers le haut. Après la catastrophe, le bateau fracassé dans les rapides, l’argent nécessaire à la réalisation du rêve englouti, la petite équipe fidèle renvoyée, Fitzcarraldo change, selon le terme d’Herzog, le revers en victoire — et pour la première fois ses héros solitaires ne sont pas brisés par les normes sociales —.
Pas d’opéra à construire au cœur de la forêt, mais le bateau pour son dernier voyage retourne à Manaos : de petites barques mènent au gros bateau des morceaux de décors : château, tourelle, murs de prison, acteurs en costume ; tout glisse vers le bateau, s’embarque et s’ajuste ; et insensiblement le rêve se réalise : le bateau file entre les rives, la musique s’élève et la caméra de cadrer Kinski-Fitzcarraldo jubilant, capitaine de son rêve, instant magique que va porter encore plus haut l’arrivée, où l’accueille le vrai public de l’opéra, l’énorme foule des Indiens.
" Encourager le spectateur à rêver " dit Herzog ; je ne suis pas sûr qu’on puisse rêver sur Fitzcarraldo mais Herzog nous donne à voir et entendre son propre rêve et c’est déjà très beau. "
" Jacques Rivette dit qu'un film est aussi un documentaire sur son propre tournage. La formule se révèle plus que ja
" Jacques Rivette dit qu'un film est aussi un documentaire sur son propre tournage. La formule se révèle plus que jamais pertinente pour Fitzcarraldo, qui, en 1982, marqua l'apogée de Werner Herzog, cinéaste aussi génial que mégalo (...).
L'épopée de Brian Sweeney Fitzgerald, aventurier mélomane qui rêve de construire un opéra dans la forêt amazonienne au début du xxe siècle, n'aurait pas atteint cette puissance baroque sans les péripéties dantesques qui ont frappé sa production — recension non exhaustive : le plateau incendié par les Indiens Aguarunas ; l'acteur Jason Robards, au bord de la folie, rapatrié aux Etats-Unis ; les Indiens engagés sur le tournage qui proposent à Herzog de tuer la gargouille humaine Klaus Kinski, parce qu'il les terrifie ; le bateau qui manque de se briser dans les rapides avec huit personnes (dont le réalisateur) à son bord, etc.
(...) Le film multiplie les morceaux de bravoure (la voix de Caruso qui fait taire les tambours de la jungle, les pirogues des Jivaros qui encerclent le bateau à vapeur...), mais Herzog semble n'avoir tourné Fitzcarraldo que pour une scène : celle, insensée et pourtant authentique, d'un bateau qui franchit une montagne. Le symbole éclatant du cinéma selon Herzog : un art plus grand que la vie, où la volonté du créateur parvient à dompter les éléments, où l'imaginaire prend le dessus sur la réalité et ses contraintes. "
" (...) On voit tout de suite comment, partant d’une vision, Herzog revient à son grand thème de l’enfermeme
" (...) On voit tout de suite comment, partant d’une vision, Herzog revient à son grand thème de l’enfermement. L’homme est un être souffrant, prisonnier du monde, de son corps, de cette terre. La jungle est dans son œuvre l’image absolue de cette existence toute dévouée au seul cycle de la vie de la mort, monde de prédation et de chaos qui avale et détruit ceux qui s’y aventurent (" les faibles comme les forts " rappelant bien là que pour Herzog nous sommes tous égaux, qu’il n’y a pas de surhomme ou de sous humanité).
Ce qui permet à l’homme de vivre, ce sont les rêves, la création, l’expression artistique… toutes choses qui lui permettent de s’élever et de supporter sa condition. Le geste jugé fou de Fitzcarraldo est l’expression la plus pure de ce désir d’élévation, de transcendance. C’est la voix de Caruso qui fait taire la fureur de la jungle, qui apaise sa souffrance et celle de l’humanité.
Fitzcarraldo est l’un des films les plus lumineux d’Herzog, une ode au pouvoir salvateur des rêves. Dans ce film, même les figures du pouvoir sont prises dans les raies du rêve de Fitzgerald : les barons du caoutchouc n’ont-ils pas fait construire l’opéra de Manaus, bâtiment illustre accueillant les plus grands opéras au cœur du Pérou ? Bien entendu, ces nababs entendaient ainsi appuyer leur réussite sociale, mais Manaus n’en demeure pas moins une idée aussi belle que folle.
On découvre dans le film que le rêve de Fitzcarraldo fait partie d’un rêve plus vaste, celui d’une tribu indienne qui veut offrir en sacrifice un grand bateau blanc pour apaiser la colère du Pongo. Chez Herzog, les rêves sont partagés (Cœur de Verre, Nosferatu…) et c’est ici l’imbrication de ces deux rêves qui fait naître le récit. Et il y a le film lui-même, né d’un rêve d’Herzog et dont le tournage va ressembler pour tous ceux qui y sont plongé à un songe éveillé... "
" (...) Fitzcarraldo est un film qui tient ses promesses. C’est une merveilleuse aventure où souffle l’esprit des c
" (...) Fitzcarraldo est un film qui tient ses promesses. C’est une merveilleuse aventure où souffle l’esprit des conteurs populaires à la Karl Kay et dont le projet quasi métaphysique n’empêche pas le cinéaste de faire preuve de la plus grande sensibilité descriptive. Sensibilité, il faudrait dire sensualité. Herzog retrouve la palette d'Aguirre pour nous faire sentir la torpeur inquiétante de la jungle, et je crois qu’il serait sot de bouder son plaisir en lui reprochant de remonter à ses propres sources. Fitzcarraldo nous donne un extraordinaire plaisir physique où l’effort et la langueur se mêlent intimement, où l’obstination à la lutte côtoie les douceurs de l’abandon au sommeil. Nous remontons des fleuves et notre bateau se hisse au-dessus des collines sans que nous ressentions d’autre peine que celle des épreuves physiques qu’il nous arrive de subir en rêve.
C’est que le Werner Herzog de Fitzcarraldo fait sienne la philosophie de ses Indiens qui enseigne que ce que nous tenons pour réel n’est qu’une illusion qui nous cache la réalité du rêve. Et, au bout de son aventure tropicale, c’est celle-ci qui triomphe. L’expédition de Klaus Kinski vers les forêts encore inexploitées peut bien être considérée comme un échec aux yeux de qui ne croit qu’au douleur matériel, elle n’en est pas moins une victoire. Il s’agit au départ de gagner assez d’argent pour entreprendre la construction d’un opéra au cœur du tumulte végétal, mais les Indiens sacrifient le bateau des explorateurs afin d’apaiser la colère des esprits de leur fleuve. Il faudra donc se contenter de chanter Bellini en plein air, et pour une seule représentation.
C’est le réel des Indiens qui l’emporte, celui des dieux, mais le fleuve et la forêt n’en offrent pas moins l’hospitalité à Bellini, à Caruso, qui sont des dieux venus d’ailleurs et qui ont droit à l’hommage d’une après-midi magique. Fitzcarraldo se ferme sur la réconciliation triomphale de l’art et des dieux. Conclusion admirable.
On aime d’autant plus le film d’Herzog que la limpidité de son récit offre un contraste heureux avec la complexité exagérée de certaines des fables romantiques qui l’ont précédé dans sa filmographie (avec celle de Cœur de verre, en particulier). Et l’on est reconnaissant à Klaus Kinski d’avoir su camper son personnage d’aventurier halluciné avec une coopération dont il n’a pas coutume. "
" (...) Impressionnante cataracte double qu'affole le rugissement de ses flots projetés en gerbes d’étoiles co
" (...) Impressionnante cataracte double qu'affole le rugissement de ses flots projetés en gerbes d’étoiles contre l’enfer de roches abruptes, confluent de rapides fouillant le fond de fleuves qu’on croirait jaillis d’une ode de Saint-John Perse... Rendez-vous de toutes les extravagances, ici, les hauts-de-forme des empereurs du caoutchouc, les bijoux de pacotille des comédiens errants, les orages du ciel, la majesté centenaire des arbres et la tragique nudité des Indiens des mucambos se partagent le même reflet dans le regard d’un monde qui n’a pas encore appris à faire la différence entre la genèse et l’apocalypse. Là-dessus règne l’Amazonie, cette autre façon d’être Klaus Kinski.
Car il y a Kinski, corsaire de l’absurde à l’abordage de la folie, conquistador de l’inutile, délire qui relancerait jusqu’à s’en déchirer la poitrine les enchères de la démence, sang et or mêlés, boue et diamant.
A sa suite, nous avançons sans encombre dans l’inextricable. Des ailes nous poussent. Notre cœur bat, comme résonne le zinc sur lequel on frappait pour simuler le tonnerre dans les coulisses de l’Opéra de Manaus. Et nous pensons que le non-sens seul à raison, que seuls sont réels les rêves. Formidable Kinski, les cheveux hallucinés, saint Georges changé en dragon, qui dans la pire pourriture ne saurait que mourir en beauté, et l’un des derniers représentants de cette race d’hommes qui, trop grands pour leur époque, font craquer un monde trop étroit pour leurs épaules, quitte à en être écrasés par les retombées.
Jetez vos compas et vos boussoles, ils n'ont plus cours en ces lieux ! Werner Herzog, bon pour l’asile, bon pour le Panthéon, nous conduit. Qu’il claque des doigts, l’impossible est possible. Un énorme navire escalade une montagne, comme jadis d’autres montagnes étaient déplacées par la foi. Les contre-ut de Bellini font frissonner des cathédrales de feuillage. Te Deum ou Miserere ? Les jours sont là, de nouveau, où un peu de musique faisait s’écrouler les murailles. Simplement, les trompettes de Verdi ont pris le relais de celles de Jéricho.
Ouvrage fascinant, qui bouleverse tout sur son passage : le ventre d’un continent, les horizons du cinéma, le conformisme de quelques idées. Poème qui nous rappelle qu’être Dieu est à la portée de n’importe qui, à la condition de cesser d’être un homme et de redevenir un enfant... "
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