Une fille chante dans la cuisine. Avec sa mère, elle traîne dans les allées d'un grand magasin. Entre la mère et la fille, il y a une complicité évidente. Et des silences. Et de petites incompréhensions. L'une achète un libre, l'autre s'amuse à la provoquer : « Il fallait me le dire que tu le voulais, je l'aurais piqué pour toi ! » Ces deux femmes – l'une jeune, l'autre pas -, la caméra les a saisies au vol.
Et nous sommes entrés, en douce, dans leur histoire.
Une histoire pleine d'absences, de vides… Pas de père. Pas d'amis. Pas de famille. Juste une mère et une fille. Une mère qui s'inquiète pour sa fille, jusqu'à ne plus pouvoir vivre. Une fille qui n'arrive pas à quitter sa mère. Tout le film repose sur la crainte de ce moment, inévitable, où il faut se séparer. On le repousse toujours un peu plus. Et cela fait encore plus mal. Pour se quitter, il faudrait parler ou se révolter. Faire quelque chose de définitif. On n'y arrive pas. Pas vraiment.
"Circuit carole" est ainsi tissé de tous ces moments forts, mais invisibles, qui se ressentent à travers un quotidien apparemment sans relief. Un retard, puis une absence… Un coup de téléphone que l'on attend, et qui ne vient pas… Chaque détail finit par prendre une ampleur intime, profonde, jusqu'à atteindre une certaine violence. Peut-on perdre pied alors qu'aux yeux des autres rien n'est arrivé ?
Le film raconte cette instabilité avec une belle confiance – confiance dans le cinéma (la mise en scène se veut invisible), confiance dans la vérité des êtres qui s'offrent à la caméra. La fille, c'est Laurence Côte, qui obtint le César du meilleur second rôle pour "Les Voleurs". Elle est d'une grâce insolente, et sa jeunesse même semble révéler avec aplomb l'ambiguïté de son amour mêlé de révolte.
La mère, c'est Buller Ogier. Ex-Salamandre de Tanner, luciole des films de Rivette ("L'Amour fou, Céline et Julie…, La Bande des quatre…"), elle est, au sens propre, extraordinaire. La voilà qui passe la grille du circuit Carole, un circuit où s'entraînent des motards (et sa fille) et tout est dit, à sa seule façon d'y entrer : comme on passerait la grille d'un cimetière. Le lieu est vide, d'ailleurs et on lit soudain dans ses yeux combien ce vide l'emplit de toutes les peurs qui vont désormais la hanter.
Tout se passe en quelques secondes, et rien ne s'est vraiment passé. Mais tout bascule. Comme le film. On croit voir une toute petite histoire, toute simple. Et l'on se découvre pleins, tout à coup de cette inquiétude terrible que fait naître l'amour et qui fait chavirer.
Philippe Piazzo