" Pour la première fois après six scénarios originaux, Atom Egoyan adapte un roman, celui de Russell Banks, au titre homonyme. Comme tout auteur véritable, il se l’approprie, le trahissant pour être fidèle en profondeur, et nous offre ainsi une œuvre dans la droite ligne de son travail antérieur : une réflexion sur le passé, la famille, le chagrin et l’impossibilité sans doute d’atteindre jamais la vérité.
Le récit de Russell Banks était fait de quatre souvenirs qui reconstituaient, avec des points de vue divergents, les circonstances de l’accident d’un car de ramassage scolaire, avec les morts qui s’ensuivirent ainsi que les séquelles (paralysie, traumatisme psychologique) pour les survivants et les conséquences sur la vie d’une petite communauté villageoise.
Les quatre témoins (Dolores Driscoll, la conductrice du bus, Billy Ansell, le père de deux enfants noyés, Nicole Bumell, une adolescente qui a perdu l’usage de ses jambes, et Mitchell Stephens, un avocat new-yorkais qui propose ses services pour trouver les responsables) ne sont plus, dans l’adaptation d’Egoyan, des témoins privilégiés mais quelques-uns des multiples personnages qui peuplent le récit.
A cette structure de retours en arrière, le metteur en scène a substitué une mosaïque tout aussi complexe, qui juxtapose passé, présent et futur en une trentaine de mouvements temporels agencés avec une clarté narrative exemplaire, ainsi que le poème de Browning sur le joueur de flûte de Hamelin, contrepoint poétique de l’histoire centrale. L’homme de loi qui arrive dans cette petite bourgage montagneuse évoque irrésistiblement quelque western (l’action a été transposée de la Nouvelle-Angleterre à la Colombie britannique), l’écran large aidant.
C’est le refus du sentimentalisme, sur un sujet qui s’y prêtait, qui donne sa force à De beaux lendemains, admirable méditation sur la nécessité du travail de deuil que vient interrompre un avocat qui se sert de la douleur des parents pour combattre ses propres tourments : une fille droguée qui ne cesse tout au long du récit de communiquer avec son père. Qui est responsable : le conducteur, l’école, la municipalité, le fabricant du car ? Vaines questions, parce que insolubles, auxquelles metfin l'adolescente paralysée par son témoignage bouleversant en fin de parcours.
Dès la première séquence - un homme enfermé dans sa voiture sous les jets d’un lavage automatique qui se bloque -, Egoyan impose un univers claustrophobe d’une présence physique obsédante, aidé par la photographie de Paul Sarossy et la musique de Mychael Danna qui créent une tapisserie visuelle et sonore. Russell Banks avait écrit son livre comme/une métaphore de la guerre du Viêt-nam et ses effets sur un peuple qui a son futur derrière lui. Atom Egoyan - metteur en scène pour qui le problème du point de vue, aussi bien cinématographique que moral, a toujours été capital -nous propose en pleine maturité créatrice une tragédie de la rédemption, celle d’êtres humains qui trouvent en eux-mêmes la force de surmonter l’épreuve et de cicatriser les plaies."
Michel Ciment, Juillet/Août 1997, n°437/438