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Un psychanalyste s'interroge : comment un cadre de la moyenne bourgeoisie allemande a-t-il pu commettre violer et assassiner une prostituée ?
Dans une maison close, Peter Egerman assassine et viole sauvagement une prostituée. Comment un cadre de la moyenne bourgeoisie allemande a-t-il pu commettre un crime aussi sordide ? Mogens Jensen, psychanalyste et ami de l’assassin, s'interroge. Car ce dernier lui avait justement confié quelques jours plus tôt, son envie d’étrangler sa douce et tendre épouse Katarina…
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De la vie des marionnettes est construit comme un puzzle, un voyage dans la psyché de son personnages principal. Ainsi Bergman nous
De la vie des marionnettes est construit comme un puzzle, un voyage dans la psyché de son personnages principal.
Ainsi Bergman nous fait voyager dans son histoire. Le film est parcouru de cartons (20 heures après le crime, quatorze jours avant etc.…) qui marquent autant d’étapes temporelles dans le parcours de Peter. Ces va-et-vient s’accompagnent de changements constants au niveau de la narration et du point de vue. Les scènes s’enchaînent en passant de l’interview à une forme cinématographique classique. Souvent l’interview même se change en "reconstitution" de ce qui est dit, tandis que la voix du narrateur vient doubler ce qui est montré à l’écran.
Bergman utilise également, une fois de plus (voir Les Communiants), la lecture d’une lettre que Peter adresse à Morgens, où les rêves qui y sont décrits prennent soudain corps à l’écran. Ce changement constant du niveau de narration donne une omniscience, une omniprésence à la mise en scène de Bergman. Le réalisateur a recours à des figures disparates qui toutes visent à la recherche profonde de la vérité, comme si une forme filmique unique ne pouvait prétendre à cette investigation intime.
Dans la reconstitution de ce puzzle, chaque intervention d’un témoin, chaque mise en scène du passé, du présent ou d’un rêve, est une nouvelle pièce qui s’emboîte. Bergman nous parle de la difficile reconstitution des évènements qui amènent à un drame, de l’impossible compréhension des raisons qui poussent à commettre un meurtre, de l’imbrication étroite d’une quantité de faits et gestes qui, pris isolement, ne peuvent prétendre à une explication rationnelle. C’est quasiment le constat de l’impuissance de l’art à se confronter au réel. Et c’est cette impossibilité même qui pousse Bergman à tenter l’expérience.
Une mère possessive ? Une homosexualité refoulée ? Un contexte social qui interdit d’extérioriser ses pulsions ? Une angoisse que Peter ritualise dans l’alcool ? Une des pistes explorée par Bergman est celle d’un carcan social qui étouffe l’individu. Lorsque Peter se trouve seul avec la prostituée, qu’il essaye de s’enfuir en hurlant « qu’il n’y a pas d’issue » et qu’effectivement il est enfermé avec elle dans cet espace clôt dont toutes les portes sont verrouillées, tous ces interdits éclatent. La prostituée n’étant pas de son milieu social, elle ne provoque pas en lui les mêmes interdits. Elle libère ses pulsions en l’invitant à dormir, à rejoindre ces rêves dont elle ignore qu’ils sont hantés par la vision du meurtre de sa femme.
C’est une autre Katarina (prostituée et épouse portent le même prénom) qui va mourir sous l’avalanche émotionnelle qui emporte Peter, cette violence longtemps contenue ne pouvant prendre pour objet une personne vivant dans la même sphère sociale. L’acte meurtrier d’Egerman semble inéluctable. Depuis son premier rêve, tout semble le pousser à commette ce crime. Qu’il parle avec son ami psychanalyste, qu’il mette à plat le malaise de son couple, qu’il se confronte directement avec sa femme, qu’il tente de se suicider… rien n’y fait, Peter ne peut qu’être amené à tuer Katarina. Seule la cible change physiquement, la prostituée prenant le temps du drame le rôle de sa femme. Tout ce que fait Peter, c’est déplacer l’objet de sa frustration sur un être faible, socialement démuni.
Le film nous parle d’un malaise profond, presque indicible.
Avant le meurtre, Peter se confie à Morgens, lui fait part du malaise qui l’assaille et dont il a peur de parler de crainte que de fantasme, la parole ne matérialise ses pulsions meurtrières en acte. Il ressent constamment l’irrépressible envie de tuer sa femme Katarina. Cette femme avec qui il « fait l’amour sans sentiments », avec qui il se dispute constamment, répétant les scènes de ménage comme « dans une pièce de théâtre, malheureusement sans spectateurs. » Un couple en crise, et pourtant uni au-delà de tout. Katarina explique que « Peter est en moi, je l’emmène partout. Le même influx parcourt nos nerfs. » Peter et Katarina sont liés jusqu’au plus profond de leurs corps. Ils ne peuvent vivre ensemble et pourtant ne peuvent vivre séparés. Peter et Katarina, nous les avons déjà croisés dans Scènes de la vie conjugale, couple se déchirant sous les regards gênés de Johan et Marianne.
Ce besoin de détruire l’être aimé est une façon de se détruire soi-même. L’angoisse qui parcourt ce couple masque l’angoisse de Peter confronté à lui même, à ses pulsions autodestructrices. Katarina est un miroir, et briser ce reflet revient à détruire son propre visage et ce faisant à effacer ce masque qu’il porte depuis toujours et qui l’empêche de respirer. Cette haine de Peter envers sa femme, envers lui-même, est une haine qui s’est construite au fil des ans. Chaque événement de sa vie a façonné son masque et construit parallèlement ce besoin de destruction.
La mère de Peter, possessive, égocentrique, qui explique que tout petit déjà son fils passait son temps à jouer aux marionnettes (où l’on retrouve la fascination de l’enfant Bergman pour le théâtre de marionnettes et qui va devenir le symbole de sa vie d’artiste) ramène au poids familial qui pèse sur tout individu. L’image que l’on bâtit est d’abord celle que l’on souhaite offrir à ses parents. Quitte à devenir ce que l’on est pas, on fabrique de toute pièce l’être désiré par son père et sa mère. Et ce dès la prime enfance. Et ce besoin originel de plaire va ensuite mener toute une vie qui dès lors se construit sur le mensonge.
Tout au long de la lente mise en place d’un individu, c’est ainsi une soumission au regard des autres. Après les parents et la famille, ce sont les amis, les clans, les groupes, l’entourage social, la vie professionnelle, la vie de couple, ses enfants. Tim, vieil homo qui se dégoûte de vieillir, est le personnage qui décrit le mieux cette sensation de ne pas être celui que l’on est vraiment. Il est révulsé par sa violence latente, ces « chienneries » comme il les appelle, alors qu’il tente désespérément de se persuader qu’il ne recherche que la douceur, la volupté d’un être proche. Dans cette très belle scène où il se confie à Katarina, il se regarde dans une glace. A côté de son reflet un masque est visible. Ce plan contient à lui seul l’obsession profonde de l’œuvre de Bergman.
De la vie des marionnettes est un film pétri des angoisses de Bergman. C’est certainement l’un de ses films les plus sombres, les plus opaques, peut-être son plus radical.
Déraciné, travaillant alors en Allemagne suite à des ennuis avec le fisc suédois, on sent que le film se nourrit de la souffrance de cet exil. C’est l’un des seuls films dont Bergman soit fier.
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