" Le
souci prédominant des auteurs de Dernier
été, c’est la justesse de ton. La précision des petits gestes quasi
imperceptibles, qu’on remarque au passage et qui témoignent d’une observation
pertinente, généreuse sans ostentation, sensible sans insistance sentimentale,
colorée d’humour sans qu’on cède jamais à la tentation de la caricature. Bien
sûr, ils emploient des comédiens soit débutants, soit non professionnels, mais
ils ne s’en accordent pas pour autant les facilités de l’improvisation
négligée. Ces comédiens ont des scènes à jouer qui ne sont pas toujours
simples, des personnages à camper, des silhouettes à dessiner dont le trait ne
doit pas s’estomper dans l’instant mais dont la présence doit devenir
essentielle à la bonne marche du film.
A la
fin de la projection, on est tout autant concerné par les personnages
secondaires qu’on l’est par les malheureux héros du film. « Banane »,
toujours fatigué et dont les congés de maladie se prolongent indéfiniment
(Djamal Bouanane), « le Muet », qui sait si bien cacher son désarroi
sous sa bonne humeur espiègle (Malek Hamzaoui) nous sont aussi familiers, aussi
proches que Gilbert et Josiane, les amoureux que la vie et ses sottises
irréparables vont séparer tragiquement (Gérard Meylan et Ariane Ascaride). Je
ne vois pas quel compliment plus flatteur on pourrait adresser aux auteurs de
Dernier été, puisque tant de cinéastes ne parviennent pas à nous convaincre de
la nécessité qu’il y a à nous montrer ce qu’ils nous montrent.
Pourtant,
cela ne suffit pas à dire l’intelligence qu’ils ont mise à l’élaboration de
leur scénario, discrètement placé sous le signe de Pasolini et de ses Ecrits
corsaires. Ni le sens qu’ils ont de l’image, celle qui coule de source, qui
ne trahit aucune prétention théorique et qui n’en est pas moins réfléchie,
calculée. Ni la dimension poétique qu’ils savent accorder à certains moments
privilégiés de leur récit (Gilbert se retrouvant face à sa trompeuse liberté,
après avoir quitté son job ou s’imposant l’épreuve d’un plongeon périlleux,
dans une calanque, pour se prouver que la force de son adolescence enfuie est
demeurée intacte).
C’est,
évidemment, aux aventures juvéniles que le néoréalisme italien et ses héritiers
ont si souvent mises en scène que cette modeste chronique marseillaise nous
fait songer : on ne peut pas s’empêcher de songer, non plus, aux rares
cinéastes français qui ont su aborder le monde prolétarien sans se croire
obligés de s’entourer des garanties du vieux naturalisme. On citera Rozier et
Adieu Philippine et, plus près de nous, Bouthier et son « blues » du port de Sète, Touche pas à
mon copain.
Robert Guédiguian et Frank Le Wita sont convaincus qu’il ne faut pas fermer les yeux
sur les réalités du monde contemporain mais qu’il ne convient plus de se
vouloir documentariste, ni d’assommer le spectateur à coups de vérités bonnes à
dire arrachées sans autre forme de procès à la matière brute du réel social.
Ils veulent façonner celle-ci provoquer un intérêt qui ne vienne pas
exclusivement de ce qu’ils disent mais aussi de la façon dont ils le disent. Ils
ont l’intuition qu’il faut, pour capter l’air du temps, nous rappeler ce qu’il
a mis de menaçant mais aussi ce qu’il a de vif, ce qu’on y respire qui fait
qu’on ne désespère pas tout à fait. Il faut que leur film soit accueilli avec
toute la sympathie qu’il mérite et, surtout, qu’il soit suivi d’un autre film
le plus promptement possible. Le cinéma français a rudement besoin de gens
comme eux."
Michel Perez