" (...) C’est un accident. De la première image à la dernière, ce n’est que cet accident (...). Tout ce que Sautet va dérouler désormais sous nos yeux — c’est-à-dire les choses de cette vie qui aboutissent à cette mort, et dont on dit que celui qui va mourir les revoit dans l’éclair qui précède sa mort —, tout sera contaminé, défiguré par cette présence de la mort que Sautet inscrit tout de suite en filigrane. La série des banalités inséparables de toute existence moyenne échappent à la banalité grâce à une fragilité poignante, une précarité qui est celle-là même des choses de la vie, toutes périssables par nature, et même par définition (...).
Quand nous glissons à l’intérieur de monsieur N’importe-qui, la résurgence du passé se complique, des tiroirs s’ouvrent, la mémoire intervient au deuxième degré, le souvenir se greffe sur le souvenir, il y a donc le flash-back dans le flash-back. Mais tout cela va de soi. Logique, si ce film sur la mort de quelqu’un est un film sur la mémoire et ses jeux. C’est par cette galopade de la mémoire que les choses de la vie s’affirment, une dernière fois, avant de basculer dans le néant.
Film touchant, dans le bon sens du mot. Dieu sait si le pathétique peut se révéler redoutable — surtout quand plusieurs personnes des deux sexes et d’âges divers, toutes sympathiques, se précipitent dans un hôpital au chevet d’un mourant qu’on nous a rendu, lui aussi, sympathique. Sautet évite la larmiche ou le brâme. Non qu’il escamote la difficulté — nous les avons, les scènes d’hôpital, et pourquoi ne les aurions-nous pas ? c’est la vie — mais la discrétion remplace l’ellipse. Sautet reste attentif — longs plans américains calmes, champs et contre-champs sans dérobade quand il suit une conversation — mais il s’écarte un peu. Il a le respect de ce qu’il nous montre, si précis, si lucide qu’il soit. Et ce respect s’allie à un immense naturel.
Naturel de l’excellent dialogue de Jean-Loup Dabadie. Naturel du jeu des comédiens, tous remarquables — Piccoli, Romy Schneider, Lartigau, Jean Bouise, Lea Massari. Naturel du moindre plan, du moindre enchaînement.
Un homme meurt sous nos yeux, et Sautet s’arrange pour que l’impression que cette mort, à la fois foudroyante et longue, nous laisse, c’est que la vie est là aujourd’hui, ni simple ni tranquille. "
Jean-Louis Bory, 09/03/1970