(...) Les personnages et la classe décrits dans Vincent, François, Paul et les autres ressortissent non de la fiction, mais d’une réalité tangible socio-politique : ce sont des hommes de 50 ans de la société giscardienne. Quant au sujet, c’est l’histoire de la démission d’hommes qui ont abandonné les idéaux qu'ils avaient quand ils se sont rencontrés (rêve de médecine sociale, projet d’ « œuvre » littéraire, rendement d’une entreprise bonheur affectif), d’hommes qui, pour conserver leur bien, leur femme, leur situation, votent là où est le profit. Ce sont de hommes pris à la cinquantaine en pleine crise, crise qui est la résultante du mode de vie de la classe qu’ils ont choisie, de leurs femmes les quittent ou les trompent ; ils s’essoufflent, frôlent l’infarctus.
A ce titre, le personnage représentatif est François (Michel Piccoli), médecin du quartier de l’Etoile que ses propres contradictions ont rendu injuste, de mauvaise foi, amer, presque salaud. Mais ce personnage passionnant tel qu’il est interprété par Piccoli n’est pas le centre du film. La première trahison de Sautet (et de Dabadie et Néron) par rapport au sujet est de faire de Vincent (Yves Montant) le nombril du film, Vincent, patron d’une petite entreprise qui, pendant tout le film, court après des millions. On pourrait croire que Sautet fait ainsi de l'argent le moteur de la société qu’il décrit. Mais non. Comme dans le cinéma de conte de fées, Vincent va dormir chez son ex-femme et, à son réveil, son ex-beau-père lui remet un chèque de 9 millions qui le sauve de la honte sinon de la faillite. Exit le sujet-argent, remplacé par le sujet important : l’amour et la perte de sa femme et de sa maîtresse par Vincent. Ce tour de passe-passe est applicable à Vincent, François, Paul et les autres dans son entier. Vincent, victime, interprété par Yves Montand dans un moment de cabotinage, devient un grand frère sympa, un autre César qui ne cesse de faire du charme pour nous séduire. On oublie complètement que c’est un pauvre type.
(...)
Sautet n’est pas seulement un optimiste, c’est un romantique. Lui qui se prétend un « cinéaste de la banlieue », il demande à Jean Boffety une superbe image qui recouvre les week-ends de Maisons-Alfort et leurs week-endeurs en pulls norvégiens d’un vernis embrumé qui les fait ressembler à des photos de mode. Lui qui connaît les prostituées de Max et les ferrailleurs mieux que d’autres dans le cinéma français, il fait de Stéphane Audran un portrait éthéré sans rapport avec le réel, une femme sublimée comme la Paramount les imaginait vers 1930.
Ainsi, le postulat initial a été trahi ou abandonné en chemin dans Vincent, François, Paul et les autres : montrer comment la société a rendu lâches trois hommes qui ne l’étaient peut-être pas initialement. Ils ont démissionné, et Sautet aussi. C’est normal : il veut qu’on l’aime et qu’on aime son film. C’est la compromission du cinéma français : s’il pleure d’un œil, il faut qu’il cligne de l’autre. La critique et le public unanimement enthousiastes ont dit du film qu’il était vrai.
Se décider à être vrai, ce serait n’être ni drôle, ni charmant, ni sympathique. Sautet nous optimise. Il tonifie les Français et la France giscardienne le remercie.
Claire Clouzot, n°31, Décembre 1974