Robert Benayoun : " Le rêve est quelque chose de beaucoup trop important pour être limité"
Extrait d'un long et passionnant dialogue paru dans la revue Positif, (n°105, Mai 1969). Le réalisateur s'y1
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Paris 1968. Simon Devereux, jeune peintre, traverse une crise d'inspiration. Sa maîtresse Angela et son ami Laurent tentent de l'arracher à sa neurasthénie.
Paris 1968. Simon Devereux, jeune peintre en colère, traverse une crise d'inspiration qui se répercute sur sa vie sexuelle. Sa maîtresse Angela, rédactrice dans un magazine de mode, tente en vain de l'arracher à sa neurasthénie, avec l'aide de leur ami Laurent.
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"... Benayoun ne choisit ni Platon, ni Kant, ni l'infâme Bergson, élude ses propres admirations pour James Joyce ou Resnais, et n'invoque B
"... Benayoun ne choisit ni Platon, ni Kant, ni l'infâme Bergson, élude ses propres admirations pour James Joyce ou Resnais, et n'invoque Borges que dans un placard terminal, pure coquetterie de signature, narcissisme par nonchalance interposée.
Paris n’existe pas n’est donc nullement un film métaphysique, même s’il donne « de surcroît » une approche de ce que pourrait être, au cinéma, le genre didactique ni documentaire, ni ennuyeux — et cependant non « vulgarisateur ». L’anecdote est simplicissime : un jeune peintre « d’avant-garde » se trouve en proie à un doute sur l’identité spatiale, puis temporelle, du décor familier qu’il partage avec une cover-girl. Cette crise, tout naturellement liée à la recherche de l’inspiration, le conduit à « explorer » le passé de son appartement, de son quartier, de sa ville tout entière. Cette exploration aboutit à ia création d’une Galatée du demi-siècle, en qui des résurgences spectacles de 1900 se mêlent à la silhouette d’une « flapper » prolongée jusqu'au yo-yo de l'avant-guerre. Cette aimable hallucination (Monique Lejeune) une fois parfaitement « formée », le processus inverse reconduit notre héros vers un nouvel équilibre, « enrichi » on l'espère, peut-être sur le plan de l’art, sûrement sur celui de l’amour.
Le film circule avec aisance entre les deux précipices de l’emphase et de la naïveté : la franchise avec laquelle hommage est rendu, non seulement à Peter Ibbetson ou à Berkeley Square, mais à Zazie dans le métro (le soldat nazi fouillant d’ailleurs un « suspect » bien de nos jours), mais aux bandes dessinées (hommage d’ailleurs critique), fait de Paris n’existe pas le prolongement vivant des réflexions antérieures de son auteur, réflexions qu'il faut aller chercher ailleurs que dans ses célèbres lettres d’injures.
Par exemple, si l'espace d’un plan, Danièle Gaubert est coiffée comme Monica Vitti, c’est en référence à L'Erotique du Surréalisme, où elle apparaît ainsi. Mais en fait, personne n'a besoin de le savoir pour apprécier le film : la prestesse de toutes ces citations participe encore d’un understatement délibéré. Il ne faut qu’un baiser pour transformer le Toulouse-Lautrec de l'ami Huston en Jerry Lewis, et que celui-ci redevienne enfin le jeune peintre, comédien talentueux (Richard Leduc). Même lorsque l’exploration du passé par ce dernier fait tournoyer devant nous un album de visions sophistiquées (Monique Lejeune se peigne en hommage à Carroll Baker se peignant en hommage à Jean Harlow) cette enfilade de miroirs spécifiquement cinématographiques ne me gêne point, moi que les fantômes à l'écran trouvent toujours circonspect malgré Nosferatu.
Une suprême aisance dans la conversation, tel semble le secret de ce film, qui permet à Benayoun de nous faire passer, grâce à un montage très élaboré, de trucs « à la Méliès » d'ailleurs limités et sagaces (ils suggèrent la non-reconnaissance matinale du décor quotidien (1) et les prémonitions du héros) à un flux croissant de ces perceptions subliminales dont il fut l’un des premiers en France à signaler l’existence et l’importance (2). Elles forment d’ailleurs le point ultime, en apparence, de l'éloignement autistique du peintre, sous forme d'un « morceau de bravoure » où reparaissent, avec ses élans picturaux, des fragments d'épisodes antérieurs qui furent peut-être décisifs dans sa crise (mais aucune tricherie, aucune variation cryptique, aucune désarticulation de la chronologie).
Cette aisance est incarnée dans le personnage d’un critique d'art comme il y en a peu, grand lanceur de paradoxes mais persuadé du sérieux des sentiments, un quart Mephisto et trois quarts dandy, qui guide le jeune peintre dans son exploration mais le retient sur la pente du délire, et que Serge Gainsbourg a composé avec une dilection et à partir d'une ressemblance évidentes, pour notre plus grand plaisir. Le jeune Faust qu’il conseille et sa jeune amie forment sous son regard narquois et affectueux un couple en proie à la diastole-systole de l'agoraphobie et de la claustrophobie, jusqu’à « l’accident » minime qui, après une promenade en auto où la vitesse, je le dis sans rire, joue un rôle plus convaincant que dans maints films de « science-fiction », restitue le protagoniste à un Paris qui existe, peuplé d'amis, d’enfants charmants, de vieillards mystérieux, le Paris de Robert Benayoun ? La connaissance approfondie et fluide que celui-ci a du freudisme lui permet d'échapper aux traquenards de la psychiatrie, voire de la psychédélie, même si nous ne pouvons nous empêcher de penser que cette chambre où circule une autre femme, et que sépare à peine du living-room le souvenir d’une cloison jadis abattue, ressemble à une plongée dans l’Œdipe (Reverdy) : « C’est aujourd’hui que je vous aime. » La découverte finale de sa propre image sur une photographie antédiluvienne nous laisserait dès lors sur une impression de pirouette ou d’ambiguïté artificieuse, si elle n’était suivie de son propre négatif : la « transfiguration » du couple, au sein du vert paradis des amours juvéniles, arraché d’avance à l’oubli
(1) Phénomène dont l'importance pour l'élucidation du rapport entre rêve et réalité a été soulignée plusieurs fois par André Breton, notamment dans le Surréalisme et la Peinture et Les Vases communicants.
(2) Cf. Bief n° 2, décembre 1958. «Celui qui murmurait dans les ténèbres».
Le titre de ce premier long métrage de Robert Benayoun, membre du groupe surréaliste, rappellera celui du premier long métrage de Jacques R
Le titre de ce premier long métrage de Robert Benayoun, membre du groupe surréaliste, rappellera celui du premier long métrage de Jacques Rivette, Paris nous appartient. Comme Rivette, consommateur impénitent de films de toute origine, tout format, toute technique, Benayoun a vu tous les films, mais selon une optique bien précise.
Un jeune peintre en colère, Simon Devereux (Richard Leduc), ignorant des contingences matérielles, s'ennuie entre sa jeune femme Angela (Danièle Gaubert) et un ami amateur d'art, Laurent (Serge Gainsbourg). Il a beau jeu de dénoncer le conformisme de l'époque. Sa femme et son ami n'arrivent pas à l'arracher à une névrose envahissante. La guérison, ou plutôt la libération, viendra insensiblement d'une fuite hors du présent. Simon " décolle " du réel, pénètre dans un monde parallèle que le réalisme de l'image a pour but d'objectiver.
Tour à tour son appartement se dépouille de sa matérialité, se modifie au gré de la mémoire, le passé revit tel qu'en lui-même : le Paris d'il y a trente ans, des années folles, retrouve son existence, par le sortilège de vieilles actualités ; une créature de rêve, Félicienne (Monique Lejeune), s'introduit dans cet autrefois ressaisi. Multipliant les ambiguïtés, Robert Benayoun impose la nécessité du rêve : le mot reviendra sans cesse ; pourtant il ne signifie nullement évasion pure et simple, mais renforcement du présent limitatif par l'intrusion toute-puissante de l'imaginaire.
Nadja, d'André Breton, était, certes, un texte à lire, mais aussi quelques photographies à contempler. Une confrontation devait s'établir dans l'esprit du lecteur-voyeur, entre la chose écrite, littéraire, et la chose vue, littérale, La démarche de Paris n'existe pas nous semble procéder très exactement de celle de Breton, comme aussi bien l'ensemble de l'œuvre d'Alain Resnais (particulièrement dans ses collaborations avec Alain Robbe-Grillet, Jean Cayrol et Jacques Sternberg).
Mais là où Resnais, uniquement " metteur en scène ", ne prétendait qu'illustrer avec la plus grande rigueur possible l'univers romanesque de tel ou tel, Robert Benayoun nous offre en direct une vision aussi subjective que possible, qui est d'abord la sienne. Et, ce faisant, nous introduit dans le malaise, un malaise qu'il transcende par la fascination. Maladroit au début, assez lent à se mettre en train, Paris n'existe pas trouve sa vitesse de croisière dès les premières manifestations de déglinguement du réel, et dans sa dernière demi-heure suit une ligne ascensionnelle presque parfaite. Paris n'existe plus, et le réel non plus...
Il faut revenir à Jacques Rivette, à son dernier film, paradoxalement intitulé l'Amour fou, alors qu'André Breton n'y est qu'une référence parmi deux ou trois autres aussi valables. Dans l'un et l'autre cas, nous assistons à la désintégration de personnalités, Rivette ne se référant qu'aux " passions humaines " vues à travers " le couple ", Benayoun, au contraire, décrivant la " renaissance " d'une personnalité au travers d'une totale recréation où passé, présent et quelques soupçons de futur coexistent sans autre forme de procès.
Robert Benayoun a trop lu et tout vu, c'est la faiblesse occasionnelle et la force insigne de son film. Aidé par la minutie d'orfèvre de Jean Ravel, son monteur, à qui, déjà, la Jetée, de Chris Marker, devait tant, il mène à terme une réflexion très logique qui exigerait une analyse séquence par séquence, sinon plan par plan.
Si Benayoun metteur en scène ne tient pas toutes les promesses de Benayoun scénariste, on n'en éprouve qu'un désir plus vif, une fois franchie l'épreuve de l'autoportrait, de le voir œuvrer sur une matière entièrement contrôlée. L'ambition, déjà, était extrême, elle mérite l'estime.
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