"On pourrait croire à un exercice de style. Un titre qui ne craint pas d’évoquer l’une des oeuvres les plus célèbres de Jean Renoir, l’atmosphère des environs de Paris au début de ce siècle : on voit déjà les canotiers, les barques au fil de l’eau et l’on s’attend à un maximum de références picturales. Or, le film de Bertrand Tavernier, on s’en aperçoit très vite, échappe radicalement à la joliesse culturelle de commande.Les hommages aux peintres impressionistes y sont d’une extrême discrétion (on y trouve simplement une scène de guinguette qui est là pour mémoire, par courtoisie émue, parce qu'il était impossible de faire autrement sous peine de goujaterie). Et si références il y a, elles vont d’un Lyonnais à d’autres Lyonnais, du cinéaste contemporain aux frères Lumière, la photographie d'Un dimanche à la campagne rappelant de très près par ses couleurs les célèbres autochromes des inventeurs du cinématographe.
Les deux petites filles que nous voyons jouer dans un parc dès les premières images sont peut-être des modèles de Renoir, le peintre, elles font beaucoup plus songer aux portraits des nièces de Louis et d’Auguste, jouant à la poupée dans le jardin de la maison de Monplaisir. Le cinéma en couleurs retourne à ses sources.
Au départ, on imagine volontiers qu’on est convié, une fois de plus, à quelque rétrospective élégamment mélancolique où l’on pourra soupirer tout à loisir sur la douceur de vivre perdue. La petite gare (dont on découvrira plus tard qu’elle est celle de Vétheuil), le sentier du dimanche pour se rendre à l’église, le foisonnement languide, déjà un peu las, d’une nature qui touche à la fin de l’été, la jolie maison où les objets les plus fonctionnels ont le charme modeste d’œuvres d’art qui s’ignorent, tout concourt à créer l’harmonie d’un paradis à la fois chaste et sensuel. Et puis, insensiblement, nous voyons naître une nuance d’amertume au sein de cet univers aimable.
Derrière le séduisant dépaysement nostalgique, Bertrand Tavernier sait piéger l’ennui confortable des habitudes quotidiennes, la morosité des dimanches de fin d’été, de fin de vie, l’angoisse des demeures peu à peu vidées de leurs occupants où l’on entend sa propre voix résonner de façon étrange. II est rare qu’on nous rappelle avec une telle subtilité qu’il n’y a jamais vraiment eu de temps de la douceur de vivre et que le passé que nous regrettons n’est jamais que de notre invention. (...)
Il s’ensuit que ce film est peut-être ce que Bertrand Tavernier a fait de plus accompli. On ne saurait se dispenser d’associer à cette réussite absolue les comédiens qui ont admirablement servi ses desseins les plus secrets, à commencer par Louis Ducreux, déjà cité, par Sabrine, Azema qui confirme, après La vie est un roman, qu’elle possède une précieuse présence cinématographique et par Michel Aumont qui sait imposer avec force l’image d’un être flou et incertain."
Michel Pérez, 12/04/1984
Tentative intéressante de rendre sur l'écran un certain impressionnisme musical et la sensation du temps passé et du sentiment d'échec que cela charrie....
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