" ...Mon film, dit Tavernier, c’est cela : la volonté de revivre dans la paix retrouvée. Aucun de mes autres films historiques ne porte sur les faits, mais sur les causes ou les conséquences des faits. Le tissu de l’Histoire, il est pour moi dans les rapports entre les individus et dans leurs sentiments intimes. » Qu'on imagine bien, au demeurant, l'amplitude inégalée de la saignée en France : 1 357 000 combattants fauchés dans la fleur de l’âge.
Sur dix hommes en âge de combattre en 1914, deux sont morts et quatre sont revenus invalides. De retour chez eux, ceux qu'on appelle désormais les « anciens combattants » s’indignent et se révoltent contre l'oubli qui gagne et les mensonges, transformés en vérité officielle, qui perdurent. Pendant ce temps, fauteurs et profiteurs de guerre s'affublent du masque du patriotisme pour mieux compter leurs dividendes et gagner les élections. Quant aux chefs indignes, ils paradent et pérorent impunément.
« L'armée française, assène Tavemier, a été commandée par des bouchers qui devraient figurer parmi les plus grands criminels de l’histoire ! Leur imbécillité meurtrière est inimaginable. » Point de départ de La Vie et rien d’autre : les 350 000 disparus français de la guerre. 350 000 empêcheurs d'enterrer en rond qui, de par l’obstination d'un homme, refrisent de passer à la trappe de l’Histoire, sous la rubrique pertes et profits.
Cet homme, le héros du film, c’est le commandant Deltaplane (Philippe Noiret, admirable d’humanité bourrue), chef du Bureau de recherche et d’identification des militaires tués ou disparus. Archéologue obsédé par la mort de ses camarades, il dirige dans des conditions difficiles, à l’automne de 1920, l'exhumation d’un train sanitaire enterré à la suite d’une explosion sous un tunnel devenu tombeau. Ce tunnel-métaphore est sans doute l’idée clé du film. Il délivre au compte-gouttes les corps des disparus et leurs effets personnels que les familles endeuillées, venues de toutes les provinces, viennent identifier. C’est la porte du cauchemar au seuil de laquelle caisses d’explosifs et gaz toxiques entreposés dans le convoi continuent leur œuvre de mort et de destruction.
Tout le mouvement du film, dont chaque plan traduit, mieux qu’on ne saurait dire, une culture, une sensibilité, une morale, est dans cette quête chimérique où s’entrecroisent plusieurs actions parallèles. Sur le grand chantier funèbre où le commandant Dellaplane compte et recompte ses pauvres morts, deux jeunes femmes d’origine sociale différente poursuivent le même but : retrouver l’homme qu'elles aiment et qui a disparu dans la tourmente.
Pour l’une, Alice (Pascale Vignal), petite institutrice, c’est un fiancé qui est l'objet d’une vaine recherche. Pour l’autre, Irène (Sabine Azéma, magnifique dans la douleur théâtrale comme dans le vrai désarroi), grande bourgeoise que les épreuves révéleront à elle-même, c’est un mari. (De fait, un seul et même homme, grâce à la mécanique de haute précision du scénariste Jean Cosmos).
C’est elle, Irène, en qui se résume le mieux le sens du film : dans ce passage de l’état de veuve potentielle à celui de femme résolument vivante devant laquelle Deltaplane se mettra à trembler d’émotion... Dans le même temps, c’est un subalterne de Dellaplane, le capitaine Perrin (François Perrot, acteur inouï !) que i’état-major charge de déterrer ce « soldat inconnu » censé symboliser, sous le marbre de l’Arc de triomphe, le sacrifice d’une génération. Au cours de la cérémonie pompeuse et hypocrite de « tirage au sort » du martyr anonyme, Dellaplane grincera : « On va en célébrer un pour mieux oublier les autres ! »
Il y a dans le plain-chant de ce film si vibrant, si juste et, paradoxalement, si tonique, comme une réponse différée à l’apostrophe d’un survivant du cauchemar, le philosophe Alain qu’ulcéraient discours officiels et commémorations : « Je voudrais entendre les morts parler de la guerre ! » Pas ceux qui font parler les morts..."
Michel Boujut, 07/09/1989
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