Bénies soient les années soixante dix qui, grâce à un italianophile passionné (Simon Mizrahi, aujourd’hui disparu) ont vu surgir sur les écrans des bouquets de comédies italiennes plus extravagantes les une que les autres. Tous les mois, de nouveaux films italiens, drôles et critiques, bons comme des croissants chauds. C’est que la France avait du retard et l’on vit soudain, comme des films tout neufs, certains inédits des années soixante, apparaître dans les salles d’exclusivité à côté de ceux fraichement tournés.
La critique française eut vite ses préférences. Monicelli tenait en respect (Le Pigeon, c’était un repère). Comencini attendrissait par sa façon de filmer l’enfance et l’adolescence. Scola tournait ses meilleurs films (Nous nous sommes tant aimés, Une journée particulière...) justement à ce moment là, à la fin des années soixante dix. Risi, lui, était à part.
Régulièrement, ses films étaient de gros succès publics. Mais ce Risi était moins facile à cerner que les autres. D’abord destiné à devenir médecin psychiatre, Risi n’avait rien du cinéphile acharné. Tournant des films alimentaires, ouvertement commerciaux, il ne s’en désolidarisait pas. La critique a eu du mal. Notamment avec Sexe Fou (1974) très gros succès exploitant à la fois la mode du film à sketch et de la comédie érotique. On l’accusa de passer du néoréalisme au "néoérotique". Cependant, maître de la comédie italienne, Dino Risi l’est, assurément, tout autant que les autre — mais à froid. D’où ses dérives vers un humour extrêmement amer quand il est personnel (sur la justice dans Au nom du peuple italien, sur le terrorisme dans Cher papa, ou… la vieillesse dans Dernier amour –tous de gros échecs publics). D'où ses incursions vers la partie la plus glacée du rire, quand, s’approchant des rivages de la mort, il devient noir et fantastique, intégrant la folie au rang de normalité. CQFD : personne, ou presque, n’a donc aimé Ames perdues, Fantôme d’amour et même Le Fou de guerre, trois films bizarrement tournés comme entre deux mondes, et mélangeant français et italiens (Gassman et Deneuve, Mastroianni et Schneider, Coluche et Beppe Grillo) en les plongeant dans une atmosphère surnaturelle, gothique, grotesque.
Dino Risi a eu le seul tort de ne pas représenter parfaitement le genre de la « comédie italienne », si admiré des français. Il tourne même avec vedettes « peu nobles », ultra populaires, comiques de bas étage ou starlettes aux atouts concentrés au niveau de la poitrine. Il s’en fout, et il a raison. Ses films ont fini par ne plus sortir en France, sinon ses feuilletons destinés à la télévision. Le dernier long-métrage, Valse d’amour, sorti en 1991 était le seizième en duo avec Vittorio Gassman, lequel lui a permis d’entrer au panthéon de quelques cinéphiles grâce à la beauté poignante de deux extraordinaires portraits d’égoïstes effleurés par l’amour : Le Fanfaron (1962) et Parfum de femme (1975). On connaît moins sa complicité avec le typiquement romain Alberto Sordi. C’est pourtant avec lui qu’il signe un chef d’œuvre : Une vie difficile (1961). Aux côtés de Léa Massari, magnifique (d’ailleurs, que devient-elle ?), Sordi est un « lâche respectable », honnête gauchiste qui refuse les compromis mais ne se révolte qu’après avoir bu, en crachant sur les voitures.
Courage et lâcheté : les héros de Dino Risi passent de l’un à l’autre, obscurs petits personnages, humiliés ordinaires qui n’attendent que l’occasion de se redresser. Les comédies noires de Dino Risi ne sont pas consolatrices, mais elles libèrent quelques mauvaises pulsions par le rire.
Extrait des notes que le réalisateur avaient consignées en vue de prochains films : « lu dans les journaux : un Brésilien a tué et enterré trente personnes parce que leur comportement le dérangeait ». C’est aussi simple que cela.
Philippe Piazzo