
Wim Wenders — Écrit sur du temps
VIDEO | 2015, 13' | Avec Every Thing Will Be Fine, l'auteur de Paris-Texas filme la solitude d'un écrivain qu'un...
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Au Portugal, dans un hôtel dévasté, on tourne le remake d'un film de science-fiction des années cinquante. Mais le producteur disparait sans laisser d'argent...
Au Portugal, dans un hôtel dévasté par une tempête, une équipe de cinéma tourne "The Survivors", le remake d'un film de science-fiction des années cinquante. Mais le producteur disparaît soudain sans laisser d'argent, et le tournage doit être arrêté. La consternation fait place au désœuvrement, puis a l'attente...
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" L’Etat des choses par sa nature d’étrange objet, d’artefact, laisse un sillage durable et profond dans la mémoire de notre regard. Les Te
" L’Etat des choses par sa nature d’étrange objet, d’artefact, laisse un sillage durable et profond dans la mémoire de notre regard. Les Terrae incognitae qu’il découvre requièrent de notre part des perceptions nouvelles. Pourtant le film n’est pas une véritable surprise : le monde qu’il évoque est balisé de repères connus si ce n’est ressassés, mais la lumière dans laquelle il les fait briller est toute nouvelle, future, et opère dans un temps qui n’est pas encore.
Pour son douzième film, entre l’avant et l’après Ham-mett, Wenders choisit la pointe la plus extrême du continent Europe, le Portugal, comme lieu de tournage et par une étrange divination, il réalise ce qui ne peut être qu’un dernier film. Simplement il l’insère — travail de cinéphile — au cœur de sa filmographie.
Curieuse coïncidence que de rencontrer à si peu d’intervalle, le blanc effrayé de Veronika Voss et le gris métallique de L’Etat des Choses. Les deux films parlent à leur manière de la mort et tous deux le font en noir et blanc.
Celui de Wenders inscrit son début peu après la fin du monde. Un groupe d’humains avance dans un désert de cendre telle une caravane lumineuse : les réflecteurs posés sur les visages luisent d’une lumière sans origine. Plus rien ne subsiste de l’univers que la carcasse d’une voiture dans une rue détruite qu’entrevoit un instant l’œil palpitant d’une caméra vidéo. Le film se clôturera plus tard sur une même image imprécise, hachurée: celle d’une caméra super8. N’est réel — semble-t-il — à l’intérieur d’une représentation que ce qui se dérobe à sa perfection, comme dans Nick’s Movie, le sale, la hachure, reste la seule trace de réalité possible.
Entre ces deux cicatrices, s’étend une zone immaculée à l’excès : gris sombres et denses d’un hôtel désert au béton fracassé par l’océan, rues rectilignes recouvertes d’un ciel opaque, plan au trait d’une ville américaine sans limite. Etats des lieux, état des choses.
Couvert de cendre, cendre lui-même, State of Things ne peut être qu’un sarcophage extrait de quelques antre obscur dont il restitue jour après jour l’obscurité. La force fascinante du film tient dans cette lumière noire que diffusent les images dans l’état de la fiction. Wenders réalise ici un accord parfait, dans le sens musical du terme, entre l’image impressionnée et ce qui s’y déroule. Le drame ne fait ici qu’affleurer. De même qu’il y a affleurement de la lumière contre l’ombre, L’Etat des Choses est une surface lisse, tendue, glacée sur laquelle tout glisse, ainsi du générique, surimpression blanche que la caméra abandonne en panoramiquant. L’idée est belle, mais elle montre avant tout combien ici tout est clos et impénétrable, si ce n’est par un regard qui n’y descend que happé.
Le film de Wenders entretient avec la lumière un rapport de voracité. L’absorbant comme un véritable trou noir, il la condense en une densité obscure, parfois funèbre. Pourtant derrière ce rideau continu de poussière, au cœur de cette nuit fermée à l’iris, brille un feu singulier. D’un bout à l’autre de la nuit du film, un regard écarquillé cherche l’origine de la lumière. Cette quête confère au film une ampleur, une retenue qui en intensifient l’aspect quasi-religieux. Le cinéaste semble connaître le mouvement de la terre et il imprime à ses plans une durée puissante et inaltérable. Le film a de l’état des choses une vision supérieure et universelle.
Ce récit du gris — parce qu’une métaphore fait de l’histoire une simple valeur de couleur et de lumière — où prennent place comme à bord d’une arche les derniers survivants, fait un film unique que sa course ralentie jusqu’au photogramme, immobilise dans la clôture de chaque cadre. Jamais ceux-ci n’ont été chez Wenders ce point refermés sur eux-mêmes : aplat dense de matière, concentré de visible aux abords desquels le hors-champ s’abolit, aspiré par cet œil si intensément ouvert. Comment ne pas évoquer l’art à la fois émouvant et miraculeux d’ Henri Alekan ?
L’Etat des Choses est tout entier dans la rencontre entre un voyant et cet éclaireur qui par un travail méticuleux et génial, conjugue une pratique perdue du noir et blanc, luisances, grisailles et directions de lumière, à une sécheresse photographique toute moderne (on pense avant même que la caméra passe de l’autre côté de l’Atlantique, à l’esthétique d’un Bill Brandt). Entre le rocher et l’eau, le jour et la nuit, le noir et le blanc, la pellicule distille tour à tour végétaux, minerais ou reflets métalliques. Le Day for night (nuit américaine) tel le sous-titre du film, joue avec notre perception et invente pour l’image un nouveau statut : il n’y a plus là ni intérieurs, ni extérieurs, le regard ne peut plus s’exercer dans la séparation du dehors et du dedans, Wenders filme une pénombre où l’on progresse davantage au toucher qu’à la vue. Il en résulte cette suite de « diapositives intérieures » qui détournent le sens, les sens et l’image.
Film sur un film, L’Etat des Choses tente d’imager (on dirait ailleurs parler) d’une manière résolument autre et nouvelle. Et le film est cinématographique en cela même que le « support », itinéraire d’un tournage suspendu, participe activement de la tentative. Dans le silence de ce sépulcre, les acteurs, tels des figures de cire, ont cessé de jouer, ils attendent une hypothétique reprise du tournage ou de la fiction. Tout dialogue est absent de L’Etat des Choses, des monologues en forme de bouteilles jetées à la mer se côtoient sans se mêler vraiment.
Les personnages vivent au jour le jour, au gré d’un scénario écrit peu à peu pendant le tournage, dans une situation essentielle d’attente et de survie. Pour chacun, y compris pour Joe (Samuel Fuller) le chef-opérateur blagueur et blasé, une mort luira au loin, banale, imaginaire ou violente. Tout ici est atteint. Une émission radio-active d’après la catastrophe fait que tout insensiblement périt. L’impureté des sons directs, les nuées brûlantes et brèves de la musique, ces midis nocturnes et plus encore le corps morcelé des acteurs dont les sens ne s’exercent plus qu’à travers une multitude d’objets partiels — polaroïd, caméra, appareil photo, walkman, réveil électronique, magnétophone, téléphone, ordinateur, métronome — tout, dans ce bourgeonnement et cette dispersion de l’humain comme du filmique, annonce un inéluctable cancer.
Un surcroît des signes de la modernité emplit ces images jusqu’à l’écœurement et l’effroi mais c’est par delà, après une sorte de vacillement, que le film se retrouve. Sans la densité qui les sous-tend, les images auraient pu être exsangues ; sans le feu qui l’anime, State of Things aurait pu au bout du compte rater son but comme cet avant-dernier plan à la maladresse excessive : Friedrich, le réalisateur braquant sa caméra (Canon!) telle une arme. Mais la vision à la fois fébrile et sage de Wenders fait de ce film malade de perfection, un grand poème dramatique.
L’Etat des Choses imagine une crispation soudaine de l’univers. A la lueur d’un soleil qui meurt, dans la sécrétion minérale du décor, là où « les restes noircis du genièvre avaient la forme d'un homme », l’auteur de Faux Mouvement et de L’Ami américain poursuit et parachève sa lente et patiente archéologie du présent."
" Parce qu’il a été réalisé dans un état de déprime, alors que le tournage d’Hammett était interrompu, et qu’il raconte l’histoire d’un
" Parce qu’il a été réalisé dans un état de déprime, alors que le tournage d’Hammett était interrompu, et qu’il raconte l’histoire d’un metteur en scène brusquement contraint de stopper les prises de vues d’un film, faute de moyens, on a tendance à voir dans L’Etat des choses un règlement de comptes avec Hollywood et un amer constat de la mort du cinéma.
C’est faire fausse route. Parce qu’il sait tout ce qu’il doit à la Mecque du cinéma et aux grands « raconteurs d’histoires » que furent Anthony Mann, Howard Hawks, Hitchcock, John Ford, Samuel Fuller et Nicholas Ray, et parce qu’il sent que le septième art est un moyen incomparable pour flirter avec l’immortalité, Wim Wenders nous dit strictement le contraire. De même qu’il avait filmé l’agonie de Nicholas Ray dans Nick’s Movie pour l’aider à vivre sa mort, et pour perpétuer le souvenir d’un homme qui était à la fois son ami et son maître, Wenders a filmé L’Etat des choses pour lutter contre le découragement et clamer l’espoir que le cinéma reste un moyen de survie immuable.
D’entrée, nous voilà plongés dans un film de science-fiction : hommes, femmes et enfants, tous masqués, se trament dans un désert, menacés par une contamination mortelle, consécutive à une catastrophe nucléaire. Il s’agit d’un remake du film d’Allan Dwan, Most dangerous man alive. Tout à coup, nous nous apercevons que ce film est une fiction tournée au Portugal par une équipe qui, faute de pellicule, se trouve condamnée à l’inaction. Le producteur est introuvable. Tout s’arrête. Mais quand le cinéma s’arrête, c’est la vie qui perd du terrain.
(…) Il signifie alors clairement qu’il ne s’agit pas, dans L’Etat des choses, de s’intéresser à l’envers du décor, de proposer une nouvelle version de La Nuit américaine, mais de tenter de capturer autre chose : la vie, le désarroi. Que font les gens de cinéma lorsqu’ils ne font plus de cinéma ? De quelles réalités est faite leur existence lorsqu’ils sont privés de fiction ? La réponse est pathétique. A l’image des héros de leur film de science-fiction, pour qui atteindre la mer est une forme de salut, les personnages de L’Etat des choses sont des « survivants ». Ils vivent par procuration. La fin du cinéma signifie pour eux l’asphyxie.
(…) Ces survivants paralysés par l'angoisse, et pour lesquels, trop souvent, les rencontres ne sont que des échanges de monologues, sont des doubles de Wenders-l'inquiet. Wenders-l'artiste à la recherche d'une identité, toujours en errance (comme l'écrivain de Faux mouvement). Wenders-le-cinéaste auquel la réalité se dérobe (comme le photographe d'Alice dans les villes). Wenders-l'adulte, qui a perdu le merveilleux optimisme de l'enfance, et que guette la mort (comme l'encadreur de L'Ami américain). Wenders-le-voyageur, ayant la hantise de l'immobilité, mais que ses mouvements en avions, en voitures et en camions n'amènent nulle part, même pas à la vérité (comme le détective d'Hammett).
L'Etat des choses est le film d'un peintre qui a eu besoin, tout à coup, de détourner sa caméra des arabesques nostalgiques dans Chinatown (Hammett) pour s'adonner à la contemplation. Regarder. Ne plus se servir des choses et des lieux pour adresser un message, mais se planter devant eux et les observer. Observer aussi ces êtres vivants, qui sont de plus en plus investis par les media, les appareils, la machine : magnétoscopes, téléphones, polaroïds, caméras vidéo, autant d'objets destinés à faciliter la communication... et qui nous enfoncent de plus en plus dans le silence.
Cette attitude le conduit à découper l'espace. Le paysage devient un état d'âme. Dans un noir et blanc magnifié par la photo d'Henri Alekan (« La vie est en couleurs, mais le noir et blanc est plus réaliste », dit le héros du film), Wenders impose des cadrages sublimes. Et fait surgir des attitudes de ses personnages statiques, abandonnés au vide, quelques instants d'authenticité et quelques fugitives beautés. Jamais, sans doute, Wenders n'aura été si proche de l'art d’Ozu et de Lang. Le premier lui a appris « que la seule sensation dans les films est la vie elle- même », le second que le discours d’un film réside dans son langage."
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