" Cet ibis est un oiseau brodé en blanc sur une écharpe rouge que porte autour du cou Jérémie (Michel Serrault), lorsqu'il s’en va, tranquillement, étrangler des femmes à l'opulente poitrine, pour liquider un complexe d’enfance. Oiseau porte-bonheur pour Jean-Pierre Mocky. Son nouveau film, construit (d’après un roman de Frédéric Brown) sur un scénario rigoureux, où toutes les situations s’ajustent à merveille, est une réussite de la comédie sarcastique, ce genre qu'il défend depuis des années.
L’Ibis rouge, c’est un peu Drôle de drame sur les bords du canal Saint-Martin, en 1975. Mocky a recréé, d’une manière poétiquement saugrenue, ce quartier de Paris qui fut un des hauts lieux du cinéma de Camé. Le roman Série noire américain est devenu un roman populiste parisien. Autour de Jérémie, employé à la Sécurité sociale, les personnages de Mocky sont des gens modestes, quotidiens pourrait-on dire. Il y a Zizi (Michel Simon), le vieux marchand de journaux Raymond (Michel Galabru), représentant en liqueurs et ex-champion de tango ; Evelyne, sa femme (Evelyne Buyle), serveuse rousse et délurée ; Margos (Jean Le Poulain), patron de celle-ci, Auvergnat dirigeant un restaurant grec. Tous ont un grain de folie qui les pousse - surprises du scénario à ne pas révéler — à des actes extravagants, selon la logique propre à l’humour de Mocky.
Chacun, qui nourrit une idée fixe, veut diriger le hasard à son profit. Mais, en quarante-huit heures, dans l’univers nocturne du canal Saint- Martin, tous sont obligés de se rencontrer et leurs idées fixes se télescopent. Après une époustouflante hécatombe menée à toute allure, le hasard, tant sollicité, redistribue les cartes — les récompenses - en raison inverse des " mérites " des survivants.
Au rire grinçant Mocky a préféré cette fois ce qu’il appelle, sans jeu de mots, le rire étranglé. Il éprouve visiblement — et nous fait donc éprouver — pour tous ces " dingues " une sorte de tendresse.
Un film extrêmement drôle où Michel Simon, Serrault, Galabru, Le Poulain et Evelyne Buyle se montrent des comédiens fabuleux. "
Jacques Siclier, 28/05/1975