Jan Nemec, l'oeil de la contestation (première partie)
En 1969, dans la revue Jeune cinéma, le critique Jean Delmas suivait le parcours de Jan Nemec lié aux bouleverseme1
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Parti pour une fête, un groupe est soudain arrêté sur un chemin et soumis à un interrogatoire humiliant. Bientôt les voilà invités à un repas en pleine nature !
Parti pour une fête, un groupe est soudain arrêté sur un chemin forestier et soumis à un interrogatoire humiliant. Bientôt les voilà invités à un repas en pleine nature... puis entraînés dans une chasse à l’homme ! Satire du "paradis" communiste, cette fable qui oscille entre grotesque et poésie onirique valut au réalisateur et sa femme (Ester Krumbachová, muse de la Nouvelle vague tchèque, scénariste et costumière) d'être bannis et interdits de tournage dans les studios d'état.
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" Le second film de Nemec (il se place dans sa filmographie entre Les Diamants de la nuit et Les Martyrs de l'amour) a été « retenu » penda
" Le second film de Nemec (il se place dans sa filmographie entre Les Diamants de la nuit et Les Martyrs de l'amour) a été « retenu » pendant deux ans par les autorités tchécoslovaques et sa présentation à Cannes (...) est sa première sortie officielle hors des frontières du pays. Le mystère qui l’a entouré pendant tout ce temps (...), la longue attente qu’il a suscitée expliquent sans doute la relative déception de la presse à Cannes. Personnellement, je le tiens pour un chef-d’œuvre (comme film) et, en tant que document historique et humain, comme très important.
C’est une allégorie dont le déchiffrement est à la fois évident et compliqué. On connaît le style propre de Nemec, au confluent de Kafka et du surréalisme.
Le film est « lisible » au premier degré comme une histoire où se mêlent l’insolite et l’absurde ; les symboles n’interviennent jamais en tant que tels et restent en quelque sorte sous-jacents au réel. Refusant à la fois le symbolisme et le didactisme, Nemec a réussi une œuvre qui n’est pas dépassée par le cours nouveau des événements récents de Prague. Le conflit entre l’individu et le pouvoir, thème central de l’œuvre, est de tous les temps et de tous les pays.
En progressant dans le décryptement, on peut lire également une réflexion sur la corruption de la conscience par le confort. Cette curieuse « fête », ce festin au bord d’un lac en pleine forêt où sont convoqués les « invités », c’est le moyen par lequel on (le pouvoir) veut acheter leur approbation, leur complicité, leur silence. L’un des invités refuse ce marché et quitte la fête : l’organisateur lance à ses trousses ses sbires et leur chien.
L’ancien Président de la République Tchécoslovaque avait cru se reconnaître dans ce mystérieux hôte. Mais le film est évidemment valable dans bien d’autres contextes : toute société où l’appétit de consommation tend à supprimer la conscience sociale est visée. Le corollaire le plus amèrement lucide de la réflexion de Nemec est le suivant, ainsi qu’il l’a lui-même précisé : en trahissant leur conscience au nom de leur confort, les gens se font complices de la terreur. Dans un sens plus large, l’auteur a voulu dénoncer l’oppression exercée par le monde moderne — et son absurdité — à l'encontre de l’individu. Plastiquement, le film transpose judicieusement le « message » de Nemec et de sa scénariste, Ester Krumbachova, auteur du sujet.
La « calligraphie » superbe de la photo souligne la séduction de la fête, la lenteur du récit favorise la montée d’une sourde angoisse qui s’épanouit dans la scène finale lorsque, à la banalité rassurante de l’image, se superposent les aboiements de plus en plus furieux du chien lancé à la poursuite du réfractaire au bonheur sur commande, du seul homme qui veut rester libre. Cet « incorruptible » est incarné par le réalisateur Evald Schorm, le plus pur et le plus noble créateur du cinéma tchèque : on appréciera l’intention et le choix de Nemec."
" La Fête et les Invités reflète exactement cette « schizophrénie contrôlée » (Paloczyrvath, cité par A. Kriegel), généralement constitutive
" La Fête et les Invités reflète exactement cette « schizophrénie contrôlée » (Paloczyrvath, cité par A. Kriegel), généralement constitutive de la mentalité de I’« appareil » stalinien. Et Jiri Nemec, l’un des interprètes de ce même film, avoue avoir consciemment bâti son personnage en fonction de cette mentalité : « La véritable interprétation n’est-elle pas fondée plutôt sur un genre de "non-compréhension" » sur une attitude qui laisse la place à des surprises, plutôt que sur la "compréhension" ?
Dans La Fête et les Invités, le stalinisme est une structure close que la fable de Nemec explore et démonte minutieusement tout en s’abstenant de l’analyser. L’allégorisme utorise ce paradoxe. « Le film, écrit sa scénariste Ester Krumbachova, montre comment ont liés les caractères, le pouvoir, l’activité et la mentalité des gens, comment ils sont conditionnés les uns par les autres, comment les uns et les autres s’épaulent mutuellement ». On ne saurait souhaiter démarche plus dialectique. C'est le milieu humain qui détermine ses habitants, lesquels en retour commandent au milieu. Le système du stalinisme engendre des staliniens et les staliniens reproduisent le stalinisme. (…) De ses héros, l'auteur suggère qu’ils se sont faits au stalinisme — et donc qu’ils le font — presque autant qu’ils sont faits par lui. Une « schizophrénie contrôlée » leur permet de demeurer — presque — égaux à eux-mêmes, tels des Meursault du socialisme, « semblables, éternels, immortels », dans l’humiliation, l’injustice, la camaraderie ou l’inimitié, la raison apparente ou la déraison, dressés qu’ils sont à ne s’étonner — presque — plus de rien.
Le moraliste Nemec appelle chacun, stalinien ou non-stalinien, au sens de ses co-responsabilités dans le système. C’est par là que son film appartient au Printemps de Prague : il témoigne de la conviction qui fut, un temps, celle des anti-staliniens tchécoslovaques — et elle s’est vérifiée — qu’une opposition socialiste était possible au sein du socialisme, et capable d’en transformer le cours. Mais La Fête et les Invités n'en est pas encore à annoncer le renouveau (le seul de ses personnages qui se révolte échoue dans la solitude). Elle montre ce sur quoi il devra être conquis.
(…) La fête côtoie la chasse à l’homme. Mais à son arrivée à Moscou, Dubcek ne fut-il pas enveloppé d’embrassades par ceux qui allaient aussitôt l’envoyer en prison ? Des circonstances dans lesquelles les victimes des grands procès staliniens apprirent brutalement leur incompréhensible déchéance, Evguenia Guinsbourg dit qu’elles « tenaient de l’orgie en temps de peste », bals de condamnés. Le système, fondé sur des dogmes et bientôt sur des mythes, structuré comme une église, fonctionne comme une église. La vérité vient d’en haut. Le Parti est le seul donneur de sens. La science de ses mandataires n’est que leur foi en son infaillibilité. C’est donc l’Hôte qui tranche de la vérité, qui la fait, qui décide de la réalité de ce qui vient d’arriver à ses invités : était-ce une plaisanterie, une mise à l’épreuve, un traquenard, un malentendu, une répétition (Rudolf est un amateur fervent de théâtre) ? L’Hôte opte pour le malentendu, catégorie qui inclut sans difficulté les précédentes. (…) L’Hôte ouvre le banquet par un discours papelard et lénifiant : « Il faut oublier. Les femmes elles, ont une grande vertu, elles savent oublier. » (Serait-ce déjà un avertissement à l’épouse du fugitif ?) Les humiliations ne comptent pas. Krouchtchev ne rapporte-t-il pas dans son Rapport qu’il dut danser à l’ukrainienne devant Staline ? Ici le sens de la fable se redouble car cette ode à l’oubli est encore une invitation à enterrer la déstalinisation. « Vous êtes tous mes Invités » (les flics et les bourreaux aussi bien que les victimes). A table, les « réhabilités » ne coudoient-ils pas leurs réhabiliteurs, qui les firent condamner ?
(…) Dans La Fête et les Invités, la mise en scène ne se borne pas à bâtir les structures qui feront de l’« histoire » et ses personnages une allégorie ; elle en pervertit encore la réalité, juste ce qu’il faut pour que l’image tienne du rêve (toujours symbolique comme on sait) et de l’expérience schizophrène. Cette déréalisation fait du même coup son réalisme. « Sous le stalinisme, écrit Petr Pithart, la société s’est trouvée politiquement émiettée, désintégrée (...) Toutes les couches (sociales) étaient ’’atomisées ”, isolées, cloisonnées tant à l’intérieur de leur « classe » que vis-à-vis des autres couches ». Dans la bureaucratie et la caste dirigeante, « la prépondérance des liaisons verticales (du centralisme) sur les liaisons horizontales » ne compensait qu’en partie ce cloisonnement. Les Invités de La Fête illustrent un curieux comportement qu’on pourrait qualifier de complicité sans solidarité. Un tel émiettement se retrouve, matérialisé, dans le film. Premiers plans et plans rapprochés l’emportent de loin, en nombre, sur les plans généraux. Le montage opère par juxtaposition de cadres plutôt que par mouvements d’appareil, laissant chaque personnage filmé dans une sorte de box abstrait. Cela est particulièrement sensible au moment du pique-nique : on croirait que les différents plans ne procèdent pas d’un espace commun. (…) L’image entasse, en les « repliant » les uns dans les autres, tables, chandeliers, vases de fleurs et convives, en une vision cauchemardesque qui, quoique en deux dimensions, occupe aussi, fantastiquement, la troisième. Sur quelques-uns même de ces ensembles, les gros plans paraissent avoir été découpés, détourés comme des médaillons, puis collés sans souci d’échelle à la surface du plan général ! Au niveau des formes, déjà, l’allégorie manifeste sa « transcendance »."
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