"Le premier mérite du film de René Allio ? Il braque le projecteur sur ce personnage ignoré qu’est le vieillard aujourd’hui. Il dessine d’abord un portrait de vieillard. Plus exactement : il établit les rapports qui existent entre le vieillard et le monde ; le vieillard vit à une autre échelle que les adultes ; le temps et l’espace subissent une déformation propre à la vieillesse — et cela Allio le montre fort bien : le paysage se dilate, la moindre promenade est aventure, plus de futur autre que la tombe, le passé est réglé une fois pour toutes, il n’y a plus que le présent qui compte.
Et c’est là la définition même du bonheur. Le souvenir du bonheur n’est plus le bonheur, l’attente du bonheur ne l’est pas encore. La Vieille dame indigne montre la beauté du monde présent dans le regard d’une vieille qui va mourir. Aussi met-elle les bouchées doubles. (...) Et coupant le temps de son film en tranches nettement délimitées (février, mars, etc.), Allio a réussi à introduire une durée romanesque quasi flaubertienne qui justifie l’évolution de la vieille dame
On se doute qu’il fallait pour incarner la vieille Berthe, une actrice exceptionnelle. Allio l’a trouvée. C’est Sylvie. Elle est sensationnelle. Il n’y aurait pas de film s’il n’y avait pas Sylvie. Elle est étonnante de discrétion et de vérité. Son personnage de vieillarde enivrée par la joie de vivre encore (et son indignité c’est cette ivresse) est un des personnages les plus intéressants que nous ait proposés le cinéma ces derniers temps. (...)
J’ai adoré la séquence, faite de riens, mais de riens notés avec une sensibilité à l’italienne, au cours de laquelle nous assistons à l’éveil de l’appétit de vivre, l’appel du bonheur : seule dans sa cuisine, la vieillarde est encore prisonnière des gestes imprimés en elle par soixante années d’habitude (…), et puis voilà que l’attirent hors de sa cuisine et de ses gestes le soleil et les bruits du monde qui viennent la prendre comme par la main. En somme, le film eût été une réussite si Allio s’était obligé à ne filmer que les deux personnages principaux, l’un et l’autre débordant de talent : Sylvie et Marseille."
Jean-Louis Bory, 1969
Très touchante cette vieille.