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Les lettres d'un cameraman sont lues par une femme inconnue : de l'Afrique au Japon se mêlent impressions et visions du monde au fil de son journal de voyage.
Les lettres d'un cameraman sont lues par une femme inconnue : de l'Afrique au Japon, de la Guinée Bissau aux îles du Cap Vert, se mêlent impressions et visions du monde au fil de son journal de voyage. Cinéaste engagé, écrivain multimédia, romancier, Chris Marker, l'auteur de "La Jetée", livre une réflexion en forme de poème cinématographique sur nos façons de vivre à travers les images.
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"... Ce film est la découverte croisée de deux humanités : Tokyo l’opulente, la complexe, « qui se d&
"... Ce film est la découverte croisée de deux humanités : Tokyo l’opulente, la complexe, « qui se déchiffre comme une partition » et ces portions misérables du continent africain que sont la Guinée-Bissau et le Cap Vert dont les habitants pourraient figurer en bonne place dans une rubrique « recalés du système ».
A Tokyo, le cinéaste a l’étonnement d’un enfant qui découvre Disneyland. Tout l’éblouit. Il ne se laisse aller à aucun jugement, critique ou téméraire. Il a même pour la production de films d’horreur, avec ses terrifiantes scènes de carnage, des mots d’une élévation d’esprit dont on ne se sent guère capable quand, d’aventure, ils arrivent jusqu’à nos écrans : « Les films d’épouvante japonais ont la beauté sournoise de certains cadavres. On reste quelquefois sonné par tant de cruauté, on en cherche la source dans une longue intimité des peuples d’Asie avec la souffrance, qui exige que même la douleur soit ornée.»
(…) Le Japon vit à la fois à la pointe du progrès et dans le respect de la tradition. « Quand on construit une usine ou un gratte-ciel, on commence par apaiser le dieu propriétaire du terrain avec une cérémonie ». Chris Marker fixe son objectif sur un lieu, sur des visages, dont il épie les frémissements. Le Tokyo qu’il nous fait ainsi aborder en douceur apparaît comme une métropole où la population se livre avec autant de sérénité à des rites ancestraux qu’à des jeux électroniques d’un raffinement et d’un humour extrêmes. La caméra saisit des éclairs de gaîté dans les prunelles après les prières, des silhouettes de femmes qui s’éloignent légères, le devoir religieux rapidement accompli, des mains qui tapent dur sur des espèces de batteries où il s’agit d’assommer, dès qu’elles pointent le nez, des marionnettes qui représentent des PDG, des vices présidents, des chefs du personnel...
(…) Si Marker manie volontiers l’ironie, il n’y a dans ses propos ou ses images aucune trace d'aigreur. Il aura au contraire, plus tard, cette phrase d’une extrême sagacité. « L’Histoire n’est amère qu’à ceux qui l’attendent sucrée. » Dans les séquences moins nombreuses filmées au Cap Vert et en Guinée-Bissau, on retrouve davantage le ton du cinéaste du Fond de l'air est rouge.
Les anciens guérilleros sont devenus les maîtres. Certains sont restés fidèles à leurs idéaux, tout en ayant appris à ménager les susceptibilités internationales. D’autres se conduisent comme des bouchers. Et Marker de conclure en exhumant des archives une fête de remise des grades en 1980, où le président décore un homme qui pleure et qui se trouve aujourd’hui à la tête de l'Etat après avoir jeté son prédécesseur en prison.
« Là où on voudrait nous faire croire que s'est forgée une mémoire collective, il y a mille mémoires d'hommes qui promènent leur déchirure personnelle dans la grande déchirure de l'Histoire. De l'Histoire qui avance en se bouchant la mémoire comme on se bouche les oreilles. » Tout le commentaire, d’une admirable intelligence politique et d’une non moins admirable poésie, est dit d’une voix peut-être un peu trop sèche, comme un tissu de vérités—alors qu’il ne contient que des émotions qui deviennent mystérieusement des vérités — par l’écrivain Florence Delay.
Ce texte laissera en nous des traces, mais les images, elles, engendrent une véritable hypnose. Chris Marker est l’un des plus grands photographes et l’un des meilleurs monteurs de ce temps. Personne ne sait, comme lui, saisir les regards, nous rappeler que ces regards ont aussi leur mot à dire. C’est la raison pour laquelle, au mépris de toutes les règles enseignées dans les écoles de cinéma, il demande aux inconnus qu’il filme de regarder la caméra.
L’œuvre de Chris Marker, du court métrage, La Jetée, au très long métrage, Le fond de l'air est rouge, en passant par Joli mai et J'avais quatre dromadaires, est celle qui donnera aux générations futures la vision la plus exacte de notre temps. Car elle jette sur le politique, qui est l’histoire de la communauté humaine mais aussi l’histoire de l’infamie, comme dirait Borges, un regard de juste.
Sans soleil n’est pas seulement une méditation sur le politique, c’est aussi, c’est peut-être surtout une méditation sur la mémoire. Cette mémoire qui transforme, atténue ou magnifie le souvenir. Tel ce plan subjectif, image de la mémoire, qu’on retrouve en ouverture et en clôture du film, de trois enfants éclatants de blondeur qui semblent gaiement cheminer dans le soleil éperdu de l’été islandais.
Chris Marker rêve que la réalité ait cette douceur."
" Avec une vitesse et une densité de pensée proprement sidérantes, Chris Marker galope des petites histoires &agr
" Avec une vitesse et une densité de pensée proprement sidérantes, Chris Marker galope des petites histoires à la grande, du trivial au sacré, de la métaphysique au prosaïsme, du passé au futur en passant par le présent, du quotidien à l’éternité ; il zappe entre les concepts, les niveaux d’approche, les idées, les digressions, il fait du copier-coller entre carnet de voyage, essai philosophique, théorie et romanesque, poétique psychédélique…
Les images de Sans soleil ne sont pas extraordinaires en soi ; ce qui l’est, c’est la dialectique entre ces images et un texte aussi sublime que celui d’un Proust qui aurait vécu à l’âge cybernétique et multimédiatique qui est le nôtre. Chris Marker semble réussir à filmer là les multiples synapses et complexes réseaux d’un cerveau au moment où celui-ci est impressionné par les informations que l’œil lui envoie. C’est assez vertigineux."
" Un cinéaste qui aime les chats ne peut pas être complètement mauvais. Chris Marker idolâtre les chats : pr
" Un cinéaste qui aime les chats ne peut pas être complètement mauvais. Chris Marker idolâtre les chats : premier bon point. A peine débarqué au Japon que fait-il sinon filmer des chats ? Il est tombé sur le pays où l'on en met partout. Rues à chats, magasins pour chats, cimetières de chats, temples au dieu-chat, statues de chats aussi répandues qu’ici les tours Eiffel en plastique, image omniprésente du chat dressant la patte droite en signe d’amitié, sans la raideur du « Heil Minou ! » qu’on pourrait craindre. La caméra de Chris Marker gobe les chats comme la main baladeuse des obsédés sexuels rencontre inévitablement les formes des jolies filles.
Les gens sérieux diront : drôle de manière d'appréhender les mystères du Soleil-Levant. C’est que Marker s’en bat l’œil, des mystères. Dans un délicieux petit livre de photos consacré au même sujet (« le Dépays », éditions Herscher, 1982) il annonçait la couleur : « Se fier aux apparences, confondre sciemment le décor avec la pièce, ne jamais s’inquiéter de comprendre, être là — dasein — et tout vous sera donné par surcroît... » Etant là, il filme ce qui se présente, ce qui le touche, et se moque de la « profondeur » des scènes captées. Peu lui importe qu’il s’agisse de vues superficielles. Il sait que tout se vaut et que c’est la parole, le commentaire, qui remettra les choses en perspective.
Ce faisant, il n’agit pas différemment de François Reichenbach, dont un film sur le Japon est sorti quelques semaines plus tôt. L’un et l'autre se gargarisent de l’équivalent nippon de nos fêtes à Neu-Neu, avec défilés de bêtassons déguisés et d'orchestres folklos. Seulement, Reichenbach avait laissé à un indigène réac et pontifiant le soin de coiffer son dépliant touristique en répétant sur tous les tons : « Nous z’autres, Japonais, sommes incompréhensibles. » Cette opinion, très appréciée chez un peuple viscéralement xénophobe, rendait insipides ses images.
Chris Marker part d’une conviction inverse. Pour lui tout est compréhensible. Ou alors rien au monde n’est compréhensible, ce qui revient au même. Suivant à la télévision japonaise une émission en français sur Jean-Jacques Rousseau, il ne s’étonne pas d'entendre si bien le japonais. Cette aisance, jointe à une coquetterie d’écriture qu’il cultive depuis trente ans et qui lui fait comparer les C.R.S. de là-bas à des langoustes bleues, donne une impression de vivacité d’esprit, d’intelligence, dont on commençait à perdre l’habitude.
Il y a une formidable liberté dans le cinéma. Rien n’est impossible, il suffit d’essayer. Ce n’est pas un hasard si, dans le même temps, sort l’étonnant film de Louis Malle My Dinner with André où, pendant deux heures, on voit un couple d’amis discuter à bâtons rompus. Comme au beau temps de Diderot. Et l'agilité de Chris Marker, qui saute du Japon à la Guinée-Bissau, où il avait laissé des connaissances, n’est rien d’autre que la gymnastique naturelle des essayistes. L’incomparable Montaigne n’est pas si loin. "
" Chris Marker a beau saluer l'avènement de l'image électronique en utilisant d'abondance les mutations inat
" Chris Marker a beau saluer l'avènement de l'image électronique en utilisant d'abondance les mutations inattendues que font subir à ses documents les manipulations de son ami Hayo Yamaneko, il n'en demeure pas moins fidèle au pouvoir des mots, dont il sait jouer comme personne et qui l'ont aidé à composer l'un des textes les plus brillants et les plus pertinents que nous ait donnés son œuvre, pourtant fertile en commentaires inoubliables. Il est vrai qu'on a parfois envie d’arrêter l’image, en cours de projection, non pas tant pour le plaisir de la regarder aussi longtemps qu'on veut, mais pour celui de retenir les mots qui l'accompagnent, de se repaître de l'idée qu'ils transmettent. Indéniablement, ces mots vont parfois trop vite, on ne saisit pas immédiatement, on saisit seulement qu'il se dit des choses rares et précieuses et l'on voudrait revenir en arrière. C'est le seul reproche qu'on pusse légitimement faire à Sans Soleil.
Les mots, ce sont ceux des lettres qu'un reporter du nom de Sandor Krasna est censé avoir envoyées à une femme, celle-là même qui nous les lit. Les images, celles qu'il a filmées au bout du monde, et particulièrement à Tokyo, au Cap-Vert et en Guinée-Bissau. On n'a rien filmé d'aussi ému, d'aussi aérien, léger, profond, précis, sur le Japon.
Chris Marker s'intéresse à tout, avec la même gravité ironique et avec la même tendresse : l'omniprésence des chats le fascine autant que la prolifération des gadgets électroniques, l'implantation des techniques du futur autant que la survivance des traditions dont on pourrait croire le sens à jamais perdu dans une société vouée tout entière à l'efficacité productive. Ainsi Sans soleil nous apprend que le Japon est aussi un pays où l'on prie toujours pour le repos de l'âme des poupées cassées, où l'on consacre des cérémonies aux esprits des choses hors d'usage, aux épingles rouillées, aux lettres qui n'ont jamais été écrites, à celles qui n'ont jamais été envoyées. Chris Marker pourrait bien en avoir inventé au passage et nous pourrions bien avoir entendu ce qu'il ne nous dit pas, peu importe, nous sommes convaincus que tout est vrai de ce que nous imaginons du Japon après avoir vu son film, comme nous étions convaincus, sortant du dernier film de Reichenbach, que tout ce que nous pouvions en penser après l'avoir vu était fatalement faux.
C'est le miracle coutumier aux intelligences poétiques qu'elles éprouvent la nécessité de donner à la vérité l'apparence du mensonge afin de nous la transmettre plus vite et qu'elles sont, par là même, incapables de nous tromper.
La sincérité de Sans soleil est irréfutable. Beaucoup plus qu'un reportage au commentaire résolument personnel, c'est une sorte de journal intime qui a parfois la tonalité d'un bilan, tantôt mélancolique, tantôt serein, jamais amer. Chris Marker a beau revenir sur les lieux d'anciens combats et constater que les héros des révolutions d'hier ont quelquefois suivi des chemins inattendus (tels ces Zengakuren qui ont « si bien étudié le capitalisme pour le combattre qu'ils lui fournissent aujourd'hui ses meilleurs cadres »), les leçons plutôt rudes de l'Histoire ne le trouvent pas découragé. Tout au plus éprouve-t-il un certain soulagement à se dire qu'il atteint l'âge où l'on se laisse porter par le flot du temps avec le frisson de savoir que le jour où l'on va s'y perdre n'est plus très éloigné. L’âge où l'on peut se résigner à ne plus s'occuper que de l'essentiel, la goutte d'eau sur la feuille, après avoir voulu tout savoir des convulsions d’un monde en devenir et être partout où des rêveurs se dressaient l'arme au poing. Cela va sans résignation ni scepticisme mais avec la même curiosité aiguë, la même attention que toujours envers les manifestations de la vie. "
" Sans Soleil est d’une telle richesse qu'il surabonde par tous les bouts. On peut sélectionner un détail (le
" Sans Soleil est d’une telle richesse qu'il surabonde par tous les bouts. On peut sélectionner un détail (le regard d’une Africaine) ou au contraire brasser l’ensemble (toute l'image, superbe), on peut y développer un sentiment (j'ai ri, j'ai pleuré) ou faire son intelligent (signifiant-signifié). C'est la qualité rare de Sans Soleil : qu'il laisse d'abord libre de ses choix un film ouvert, extérieur, comme une ritournelle qui vient du large.
Quand ça commence, il y a trois petites filles blondes qui trottinent sur une route d'Islande dont on ne sait pas trop quoi faire. Et puis, chemin faisant, il y a quatre mémoires amies qui, elles aussi, en leur nom propre, vont leur train cahotant : Sandor Krasna, caméraman hongrois, Hayao Yamaneko, vidéaste japonais, Michel Krasna, le musicien et Chris Marker, le cinéaste de la bande. Tous à part filent leurs morceaux choisis (rites privés, obsessions personnelles). Et comme si ça ne suffisait pas, on embrouille l'intrigue par quelques images empruntées à quelques autres (Haroun Tazieff, Danièle Tessier, Sama Na N'hada, etc). Bref, chaque personne est un groupe et chaque groupe une multitude : ça fait du monde
(...) le carnaval de Bissau, le culte des chats au Japon, une femme au Cap Vert, Vertigo d’Hitchcock, la guérilla urbaine, la mort d'une girafe, une éruption en Islande, les jeux vidéo. Cadavre exquis, répétition borghésienne ou listing à la Pérec (...) il y a dans Sans Soleil un projet mythologique d’encyclopédisme emballé qui rend fou : toute la mémoire du monde embarquée sur un vaisseau fantôme
(...) Sans Soleil est entre deux régions d'images : le cinéma qui s'en va et la vidéo qui bouffe tout. Le monde qui s'en suivra n'est peut-être pas très chaud (Sans soleil) mais Chris Marker a bon espoir.
Pourtant, in extremis, le cinéma revient : les trois petites Islandaises du début, filmées saccadé comme aux temps des pionniers. Dernier baroud d'honneur ou nostalgie sentimentale Chris Marker leur dédie son film. "
" Il y a plus de vingt ans — c'était début novembre 1958 — une phrase, « je vous écris d
" Il y a plus de vingt ans — c'était début novembre 1958 — une phrase, « je vous écris d'un pays lointain », placée au début d'un film intitulé Lettre de Sibérie, puis revenant au cours de ce film, fut le «sésame ouvre-toi » d'un univers cinématographique où la réalité dite « documentaire » était traitée d'une façon nouvelle. « Je vous écris d'un pays lointain », phrase empruntée à un poème de Henri Michaux, a fait naître le film de voyage littéraire, épistolaire.
Le réalisateur, Chris Marker, ou plutôt, l'homme qui prit ce nom et auquel il arriva d'en porter d'autres, n'était pas un inconnu. Il avait été associé à des courts métrages d'Alain Resnais. Puis il avait tourné Olympia 52, reportage sur les Jeux olympiques d'Helsinki et surtout Dimanche à Pékin, carnet de notes de vingt minutes (à la diffusion) disant et montrant ses impressions de la ville chinoise dont il rêvait depuis son enfance. Lettre de Sibérie fut son premier long métrage, comparé, à l'époque, au « point de vue documenté » jadis prôné par Jean Vigo dans A propos de Nice.
Mais Chris Marker, filmant, en quelque sorte, au film de sa plume, ouvrait par la relation toute personnelle d'un texte « à la première personne » et d'images contemplatives du réel, la voie qui aboutit, aujourd'hui, à cette superbe méditation qu'est Sans soleil.
Il faut bien, pour aborder Sans soleil, remonter aux sources. D'abord romancier, essayiste, Chris Marker, s'il n'est pas le seul à être venu au cinéma par la littérature, est toujours resté, foncièrement, un écrivain. En créant, pour les éditions du Seuil, la collection « Petite Planète », il a changé toutes les conceptions des guides de voyages destinées à la connaissance des pays étrangers ; les rapports texte-images en édition annonçaient, dans une certaine mesure, ses films. Et puis, grand voyageur, il a regardé les hommes et le monde, avec tout ce qu'il avait dans la tête : idées, sens visionnaire, interprétations diverses des mœurs et des faits. Il a su voir ce qu'il y avait derrière les choses.
Cinéaste, il ne s'est guère prêté aux entretiens, à propos de ses films. Homme de gauche, il a suivi et examiné de près les problèmes politiques contemporains. Chaque pays qu’il a visité et filmé a été, pour lui, une personne : l'état d'Iraël dans Description d'un combat ; le Cuba de Fidel Castro, dans Cuba si ; le Paris de 1962 (O.A.S. et retombées de la guerre d'Algérie) dans le Joli Mai ; le Vietnam de l'intervention américaine dans Loin du Vietnam, œuvre collective ; Cuba, encore, et la campagne pour la récolte de sucre, dans la Bataille des dix millions. On n'a jamais réussi à définir Chris Marker. Il a un côté mystérieux, insaisissable.
En 1977, Le fond de l'air est rouge semblait faire le point (en quatre heures de projection) sur les dix dernières années de l'histoire moderne, constituant, selon le cinéaste, les « scènes de la troisième guerre mondiale », avec les soubresauts des révolutions manquées ou perverties, l'amère constatation de la fin des « illusions lyriques ».
Oui, il fallait rappeler tout cela car Sans Soleil, lié en partie à la lucidité politique, à l'esprit des œuvres précédentes, va tout de même plus loin et ailleurs dans sa démarche. La voix d'une femme inconnue (Florence Delay - écrivain, - dans la version française, Alexandre Stewart dans la version anglaise), lit et commente les lettres que lui envoie un cameraman voyageant au Japon industrialisé et dans les pays pauvres de Guinée-Bissau et du Cap-Vert. Il s'appelle Sandor Krasna, il existe, il a une biographie dans la brochure de presse mais il est bien évident que « ses » lettres ont été écrites par Chris Marker. Ce n'est plus : « Je vous écris d'un pays lointain » mais « la première image dont il m'a parlé, c'est celle de trois enfants sur une route, en Islande, en 1965. Il me disait que c'était pour lui l'image du bonheur, et aussi qu'il avait essayé plusieurs fois de l'associer à d'autres images - mais ça n'avait jamais marché ». Et, souvent, la voix de la femme précise : « il m'écrivait... »
La voilà, cette inconnue, miroir de l'homme qui filme et écrit, confidente de ses errances et de ses découvertes, de ses idées, de ses souvenirs. A côté d'admirables textes littéraires, des images surgissent, se frôlent, se rapprochent, s'éloignent, se disloquent lorsque se manifeste l'utilisation de la vidéo, technique électronique capable de fabriquer à la fois la réalité ou l'imaginaire. Bien sûr, il est question, tout au long du film, de richesse et de pauvreté, de guerre, de violence, de révolution et de contradictions sociales. Mais un tel film ne peut se juger sur son contenu, disons, idéologique. Chris Marker cinéaste s'interroge sur la représetation même du réel, y prend en compte l'attitude subjective derrière l'objectif de la caméra, adapte le montage de ses « documents » aux thèmes revenant, comme des obsessions dans les lettres.
Où est la réalité, où est la fiction ? Partout et nulle part car toute image enregistrée est déjà un souvenir et l'histoire, dans ce film, est une suite des jeux de la mémoire individuelle ou collective. Plutôt que ce qui se rapporte au politique, citons un moment qui semble la clé de l'œuvre. A San Francisco, le cameraman recherche les lieux où Hitchcock tourna Vertigo. « Il m'écrivait, dit la voix qu'un seul film avait su dire la mémoire impossible, la mémoire folle. Un film d'Hitchcock : Vertigo. Dans la spirale du générique, il voyait le temps qui couvre un champ de plus en plus large à mesure qu'il s'éloigne, un cyclone dont l'instant présent contient, immobile, l'œil... » Quelques plans fixes, insérés ici et là (mais pas au hasard) rappellent La Jetée, cet étonnant essai de science-fiction où Marker, en 1963, montrait la prédominance des images mentales.
Sans Soleil parle d'un monde, parle à un monde qui fait encore semblant d'exister. La méditation sur le souvenir conduit à la mort. Les lettres restent des traces, plus fortes que les images, mais périssables comme elles. Un tel film, sollicitant à la fois l'oreille, l'œil et le propre imaginaire du spectateur, est un défi au cinéma français standardisé d'aujourd'hui (...) le film de Marker met en état d'hypnose, un état dont, pour un peu, on aimerait ne pas se réveiller. "
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