On dit que ce ne sont pas les meilleurs livres qui donnent les bons films. Pour raconter l'histoire d'une femme musicienne qui décide de tout quitter - maison, compagnon, travail - et de réinventer son rapport au monde dans le sud de l'Italie, le romancier Pascal Quignard n'échappait pas à la préciosité. Benoît Jacquot, lui, signe un film tranchant, presque brutal : partir sans rien laisser, avec la volonté que l'on ne vous retrouve pas, est un combat.
Vendre ses biens, résilier ce qui vous lie aux autres et à la société, brouiller les pistes : au fil de ces démarches, Isabelle Huppert est filmée comme une force en mouvement. Son périple à travers l'Europe, en train, bus, avion, pourrait être celui d'un agent double, ou triple, et il est mis en scène ainsi : montage ultra serré, cadrages qui surprennent. Dans ce faux thriller transeuropéen, l'héroïne pourrait être une petite soeur existentialiste de Jason Bourne.
Huppert est (presque) de tous les plans. Villa Amalia est une ode à l'actrice, magnifiquement éclairée par la chef op' Caroline Champetier. Filmer la comédienne s'apparente à de la macrophotographie. Son jeu, qui échappe à tout psychologisme, est une école du détail : une façon de se masser les mains avant de se mettre au piano, une autre de chercher l'air après avoir nagé, une ébauche de sourire ou un mouvement des yeux, tout exprime avec force et économie la nécessité qu'a ce personnage de se sauver.
Une femme qui part et se transforme : c'était déjà le sujet des deux précédents films de Benoît Jacquot, A tout de suite et L'Intouchable. Mais, ici, le processus est si accompli qu'il autorise même, passé la tentation quasi mystique de la vie d'ermite, une acceptation du monde un temps rejeté. Rencontres de hasard, amitiés fidèles (Jean-Hugues Anglade, d'une grande justesse) et mini-coup de théâtre concourent peu à peu à l'apaisement. Le cinéaste semble contempler cette métamorphose avec la même sidération que le spectateur : le périple qu'il donne à voir est aussi celui d'une immense actrice s'appropriant un personnage, le conduisant haut dans l'éther pour mieux le ramener sur terre, parmi nous.
Aurélien Ferenczi