" Ça commence bien. Très bien. Une étoffe blanche flotte au-dessus de la mer. Travelling arrière : non, ce n'était pas l'un de ces draps que l'on tend dans les salles de patronage en guise d'écran de projection, mais le voilage d'une fenêtre agité par le vent. Une vieille dame téléphone à Rome. Elle cherche son fils, Salvatore, et finit par lui laisser un message : « Alfredo e morto ».
Quand le message lui est enfin transmis, Salvatore (Jacques Perrin) devient tout chose. Ce passé qu'il avait si soigneusement enfoui au fond de lui-même, ce passé fait surface. Dans sa tête. Et sur l'écran. Nous voilà transportés sur la grande place toute blanche d'un village de Sicile, juste après la guerre. A l'église, monsieur le curé dit la messe, assisté d'un tout petit enfant de chœur (Salvatore Cascio) qui s'endort régulièrement au moment d'agiter la clochette. C'est Toto — qu'on n'appelle pas encore Salvatore.
(…) Les deux tiers du film sont un enchantement. Naissance d'une amitié ou comment Alfredo sauva Toto d'un juste châtiment. La chance d'un Napolitain au loto sportif ou comment « Les gens du Nord ont toujours de la chance ». Le certif, ou comment Toto fit chanter son ami Alfredo. (…) On rit, on est ému, on y va même franchement de sa larme quand Alfredo, qui a perdu la vue, arrive dans la cabine de projection, conduit par sa femme. Il vient tenir compagnie au nouveau projectionniste : son ami Toto, qui est encore si petit qu'il grimpe sur une caisse pour charger l'appareil. Les temps ont changé. Le Napolitain — grâce au loto — a pu racheter le Paradiso incendié et le remettre à neuf. Les spectateurs, ravis, découvrent qu'on peut s'embrasser sur l'écran. La pellicule ne s'enflamme plus. Mais les joies du projectionniste sont toujours les mêmes : entendre le public rire ou pleurer.
(…) Il faut beaucoup d'années d'absence pour retrouver intacts ses souvenirs. Toto, dans son âge mûr, les retrouve. Tornatore aussi. Car c'est sa propre histoire qu'il nous conte. Et ce film (son deuxième : le premier, Il Camorresta, est encore inédit en France), il l'a tourné dans son village natal. La morale en est la même, exactement la même, que celle de Splendor d'Ettore Scola : le cinéma enseigne à la fois la tolérance, le respect du voisin et l'amour de la vie. Un amour fou, puisqu'on ne se contente pas de sa propre vie, mais qu'on en vit par procuration des centaines et des centaines d'autres."
Claude-Marie Trémois, 20/09/1989