" Mister Freedom c’est Superman envoyé par Johnson pour sauver de la subversion rouge ce dernier bastion du monde libre qu’est la France.
Cet argument de bandes dessinées, Klein l’a traité en un style de music-hall sans doute inspiré par les émissions publicitaires de la TV américaine ; Mr Freedom, mi-samouraï, mi-champion de base-bail semble lancer un produit détergent qui laverait « plus-bleu-blanc-rouge ». On prend un vif plaisir à voir descendre du plafond un De Gaulle en baudruche tricolore, Mao en dragon gonflable remplir toute la station du métro Saint-Martin, et Christian Fouchet annoncer par voix de juke-box la création de comités de délation civique. Toute cette première partie pose en termes clairs et justes le conflit, non entre Américains et Français, non entre capitalistes et socialistes mais entre chefs d’Etats et militants révolutionnaires, entre ceux qui fanfaronnent et se « dégonflent » et ceux qui agissent. Il me semble cependant que le style choisi (chefs d’Etats-bibendum et activistes de bande dessinée) désamorce un peu un propos qui se voulait une invite à une vraie réflexion.
Il en va tout autrement pour l’autre thème de Klein, celui des prétentions américaines à sauver le monde de la barbarie rouge ; là, tous les gags portent : les homélies de Johnson ponctuées d’amen par un Donald Pleasance plus onctueux que jamais et l’ascension de Mr Freedom dans un gratte-ciel où Freedom se vend au-dessus de Standard Oil et d’United Fruit ; ces stigmates qui saignent au flanc du messie américain et son désespoir à se voir traiter de fasciste par un jeune contestataire en herbe. Quand en attendant Freedom les fans français, anciens combattants et jeunes paras, s’exercent et s’amusent pour garder la main à torturer et à violer, on s’aperçoit que l’humour est devenu rouge et noir et que ces violences de bandes dessinées, pour rire et pour dormir, en évoquent d'autres de manière insoutenable. C’est que le style a changé, les super-revues à majorettes et refrains ont laissé la place à un étrange ballet réaliste et assez horrible ; des acteurs masqués ou peinturlurés miment des scènes de supplice ou de matraquage avec une frénésie qui rappelle les transes des acteurs du Living.
Confrontées avec ces scènes cruelles, les séquences de reportages filmées pendant le mois de mai à Paris et que Klein a insérées à la fin du film paraissent un peu pâles ; moins efficaces que le montage extra-rapide de documents pris sur le vif qui symbolise l’Amérique au début. On prend plaisir seulement à ces trucages qui font chanter Adieu Freedom aux manifestants de la gare de Lyon ou vitupérer Cohn Bendit contre l’ingérence américaine. Mais on est davantage touché par ces charges énormes, de caractère théâtral, ce soldat rouge à tête de mort, ou encore le final horrible et drôle où Johnson conseille un peu de repos à un Freedom démantibulé qui cherche à tâtons le bras qu'il vient d’égarer en se faisant sauter avec sa propre bombe."
Andrée Tournés, n°32, Septembre 1968